Les textes suivants ont été originellement écrits sur un autre blog. Il m'a semblé intéressant de les regrouper ici pour mémoire.
27/10/2015
Après
une vision de ce type, impossible de se dire après "qu'espèce
de courge" puisse être une insulte. Mais bien plutôt un
compliment !
Au
cours d’un voyage sur la Voie du tambour, il lui avait été
soufflé de prendre une pomme dans sa main et d’écouter ce qu’elle
avait à lui dire. Cela tombait bien, il était sur les terres de
l’Émerveillée et en cet automne tardif et foisonnant, la nature
regorgeait de fruits et de couleurs à en perdre la tête.
En
contre-bas de la maison, il y avait un verger planté de quelques
pommiers appartenant au voisin qui, trop âgé pour les cueillir,
donnait les pommes à qui les ramasserait. L’herbe en était
jonchée ; c’était pour faire du jus, peu importe qu’elles
soient parfaites, et en à peine deux heures à deux, ils en
ramassèrent 150 kilos. Seul un moment, en cette matinée d’automne
si belle, il prit donc une pomme dans sa main droite tout en touchant
le tronc de sa main gauche. Et ce qu’il sentit, c’est une immense
bouffée d’amour. Il sentit l’amour de cet arbre et sa
générosité ; toute son énergie, absolument toute, consacrée
à produire des graines à profusion de manière à ce que la vie se
perpétue au-delà de lui. Chaque graine, chaque fruit étant un
cadeau de la vie à elle-même dans une sorte d‘abondance mirifique
profitant à tous : chevreuils, oiseaux, insectes, hommes… Des
kilos et des kilos de vitamines, de vie, de jus, de fruits à venir…
Et en chaque pomme un condensé d’énergie colossale, un mini
big-bang, un arbre entier en germe et des centaines de milliers de
fruits à venir… Il en faut de l'amour pour produire tout cela...
Qui
n’a jamais pressé des pommes ne peut savoir l’extraordinaire
jouissance à voir ces litres et ces litres de jus couler. Une sorte
de corne d’abondance infinie qui, somme toute, nécessite une
technologie simple pas encore greffée d’intelligence numérique :
un broyeur, une presse à main, quelques bacs, une machine à
pasteuriser, quelques tuyaux aboutissant à quelques robinets d’où
jaillit alors un jus doux, sucré et encore chaud. Un nectar, une
quintessence de pomme. Il faudrait, oui, apprendre à nos enfants
cette générosité de la nature envers nous, cette offrande
accessible à qui simplement peut faire l’effort de se baisser, ces
cycles du vivant si parfaitement synchronisés…
Le
lendemain, le Voyageur et l’Émerveillée en ses terres sont partis
faire une grande promenade dans les monts et vallées environnant.
Une contrée encore préservée de la folie des hommes qui ont su y
rester des jardiniers respectueux. Une longue descente sur un chemin
de pierres serpentant vers une vallée en contrebas creusée par une
rivière. Un endroit hors du monde, peuplé de chevreuils, d’oiseaux
rares et de sources restées sauvages et libres. Au bout du chemin,
une source réputée miraculeuse se jetant dans la rivière à
proximité d’une chapelle construite pour honorer la source de ses
bienfaits. Fatigue dans les jambes (le Voyageur est encore un homme
des villes à l’activité plutôt sédentaire a contrario de
l’Émerveillée qui elle, se déplace tel un cabri). Souffler,
déposer dans la source quelques pierres pour les purifier, s’asseoir
sur un muret de pierres, écouter le silence et le vent qui souffle.
Sentir la paix descendre en soi, se réjouir des caresses des
feuilles du noisetier tout autour de sa tête et de ses épaules
comme un soin énergétique délibérément voulu par une conscience
inconnue, poser ses mains sur la pierre et puis sentir en soi, comme
il le voit lors de ses voyages au tambour, la présence d’une
entité féminine, comme une sorte d’hologramme lumineux ayant
forme de femme ondine, qui lui parle dans le secret du cœur. Un
moment rare qui, mêlé aux soins du noisetier fut comme un rituel de
guérison du cœur et de l’âme. Comme si quelque chose s’était
ouvert en lui.
Quelques
jours plus tôt, toujours accompagné de l’Émerveillée en ses
terres, il avait eu l’occasion de rencontrer un homme venu de loin,
et pour quelques jours seulement. Un de ces hommes encore à la
source de la Voie du Tambour qui avait bien voulu le recevoir en
consultation. De cette séance, il n'en dira rien ; certaines choses
ayant obligation de silence pour faire leur œuvre dans le secret de
l’âme. Simplement dire que cette rencontre fut une confirmation,
une validation sans aucun doute, de ce qu’avait maintenant le
Voyageur à vivre et à faire. Avant, il avait un travail à faire,
maintenant il avait une mission. Une mission pour laquelle il se
sentait prêt. Difficultés de langues différentes obligent, il ne
savait pas exactement ce que cet homme avait fait. Tout juste
savait-il ce qu’il avait dit grâce à une interprète. En tout
cas, il sentait que des chemins et des espaces jusque-là obstinément
fermés s’étaient ouverts en lui. Et les connexions avec la pomme,
puis avec la fée de la source, en étaient la matérialisation.
Et
comme parfois, la Vie vous permet d’éprouver dans les faits ce
qu’elle vous murmure avec son langage à elle, en cette semaine
dans ces terres du sud-ouest qu’il aime tant, le Voyageur eut à
maintes reprises l’occasion de mettre en pratique ce pour quoi il
était dorénavant fait. Un apprentissage dont le principal obstacle
était le doute…
La
nuit suivant la rencontre avec la fée de la source, ou celle
d’avant, il ne sait plus, le Voyageur fit un rêve. Il rêva qu’il
était un enfant dans un monde en crise, peut-être en guerre. Sa
famille avait disparu et il était seul. Un homme alors s’approchait
de lui, lui tendant une sorte de livre-coffret à la couverture
blanche avec dessus comme des lettres brodées à la main, et lui
disait :
-
Dans ce livre, tu trouveras tout ce qu’il faut, clés, indications…
pour te rendre en un appartement que nous avons trouvé pour toi et
dans lequel tu pourras te cacher en attendant que tout cela se
termine. Tu y seras en sécurité.
Le
livre était beau, le moment solennel et l’enfant qu’il était
prit le livre, ce qui mit fin au rêve.
A son
réveil, le Voyageur reçut un moment ce rêve comme expression d’une
angoisse à la limite du cauchemar. Puis, en parlant et
réfléchissant, il finit par en comprendre le sens : en ce
monde fou et désordonné, un homme qu’il ne connaissait pas lui
avait remis les clés d’un lieu dans lequel il ne craindrait plus
rien. Non pas un lieu uniquement pour se protéger, mais aussi un
lieu pour accomplir ce qu’il avait à faire, sans crainte, même si
le prix à payer était un éloignement de sa "famille"
d'origine. Un lieu secret protégé de la folie du monde. Et « on »
avait fait ça pour lui, comme un cadeau d’entre les mondes pour
l’aider et l’inciter à faire ce qu’il avait à faire sans
risquer d’être affecté par cette folie-là. Un cadeau en somme.
Comme les pommes. Un livre dans lequel serait consigné ce dont le
Voyageur avait besoin de savoir pour vivre, avec les clés d’accès
à l’intérieur. Une transmission d’entre les mondes et dont le
rêve serait le messager…Sur la voie du Tambour tout est don et
contre-don, abondance pour celui qui donne et qui reçoit…
Des
pommes, une fée, une rencontre venue d'ailleurs, un rêve, un livre
magique, la possibilité d'exercer ce qu'il a à faire... L'automne
est une saison féconde pour ceux qui savent s'y installer...
03/10/2015
Cela
était arrivé au Voyageur plusieurs fois : à chaque fois qu'il
s'était retrouvé face à l'absolu évidence du merveilleux ou du
miraculeux dans sa vie; il avait regimbé. C'est un paradoxe de
l'être humain, qui aspire au merveilleux mais se refuse à y croire
pour peu qu'il y soit confronté vraiment. On le sait prêt à croire
à en effet à peu près n'importe quoi, mais lorsque arrive ce dont
il a toujours rêvé il met alors en place tout un système de
défenses, comme si l'important était de croire plutôt que de voir.
Comme
conscient de la chose, ce qui se trame à notre insu a pourtant
souvent l'obligeance de revenir par deux fois pour nous convaincre.
Comme cette fois où après avoir battu les cartes du Tarot pendant
plusieurs minutes, le Voyageur s'était retrouvé face à un jeu
impeccablement rangé dans l'ordre numérique du 1 au 22. Sur le
coup, il n'avait pas réussi à y croire, élaborant les hypothèses
les plus improbables pour justifier la chose. Mais le lendemain,
rebattant les cartes en faisant très attention à ce qu'il faisait,
il s'était retrouvé à nouveau face à un jeu impeccablement
classé, non pas du 1 au 22 -il faut savoir rester raisonnable-, mais
du 6 au 22 ; ce qui est quand même là encore tout-à-fait
improbable. Comme une façon de lui dire : bon d'accord, tu n'as
pu y croire hier, mais là cette fois-ci tu ne pourras faire
autrement.
Cette
situation consistant à « ne pas vouloir croire à l'absolu
évidence du miracle en attendant une preuve supplémentaire »
lui était à nouveau arrivé il y a peu.
C'était
un jour faste cumulant équinoxe d'automne et pleine lune, auxquelles
s'ajoutait le lendemain une éclipse totale de lune. Le Voyageur
était dans le royaume de l’Émerveillée en ses Terres, terres qui
rarement avaient été aussi puissantes. Dernières profusions de
l'été en ce début d'automne avant la plongée dans le noir blanchi
de l'hiver, infinies variations des nuances de couleurs, été indien
réchauffant pierres, bêtes et végétaux avant le froid à venir.
Était
prévue le soir une rencontre de compagnonnage entre personnes sur la
Voie du Tambour. Sur un terrain en esplanade de l'horizon avait été
installé un cercle de pierres pour le grand feu du soir et le
Voyageur en ce milieu d'après midi s'occupait à terminer
l'installation du lieu en y apportant du bois. Il était prêt du
cercle de pierres lorsqu'il entendit le premier cri. Reconnaissant un
cri d'aigle, le cœur battant il leva la tête et vit alors, là,
juste à la verticale du cercle de pierres TROIS aigles planant dans
le ciel. Oui, pas un : trois ! Ils ont survolé le lieu,
puis un est parti dans une direction et les deux autres dans une
autre. Des aigles, le Voyageur en avait déjà vus, mais un seul à
la fois ; pas trois...
Émerveillé,
troublé, le Voyageur se sentit presque... déstabilisé. Cela était
comme trop beau, trop évident, trop facile...
Et pourtant le langage de la Vie à notre encontre est souvent
simple. Une réunion sur la Voie du Tambour ? Elle envoie trois
aigles en éclaireur comme une bénédiction de ce qui pourra s'y
passer. Quoi de plus simple ?
Mais
le Voyageur est un obtus malgré toutes les portes ouvertes en lui.
Il ne se sentait pas d'accepter la chose dans sa simple évidence...
Là-dessus,
les compagnons d'un soir se sont retrouvés autour du cercle de
pierres et de son feu au milieu et se sont installés. C'était la
toute fin de l'après-midi, la chaleur avait fait place en quelques
instants à une fraîcheur obligeant aux pulls, et tous étaient déjà
dans la magnificence et l'attente pleine et dense de ce moment de
bascule sublime qui verrait à un coin de l'horizon le soleil se
coucher dans sa flamboyance irradiescente, et de l'autre, énorme et
basse sur l'horizon, la lune se lever. De là où ils étaient, ils
pourraient voir les deux (1).
Et c'est dans cette attente patiente et tranquille bercée par le
chant du tambour qu'est arrivé le deuxième signe. A gauche du
soleil se couchant, et alors qu'il n'avait pas plu depuis longtemps,
un arc-en-ciel vertical est soudain apparu comme une preuve tangible
de l'absolue évidence du miracle. « Oui, trois aigles sont
bien venus cet après-midi et pour finir de te convaincre, o
malheureux crédule sceptique, je t'offre cet arc-en-ciel »,
C'est
à ce moment que ce qui restait de réserve et de doute dans le cœur
du Voyageur s'est dissipé pour ainsi dire presque au même rythme
que l'arc-en-ciel lui-même s'estompait, peu à peu englouti dans la
rougeoyance du soleil couchant.
Dans
le même temps, la lune est apparue, basse, énorme et ronde
au-dessus des arbres, en ce jour où la longueur du jour était très
exactement semblable à celle de la nuit. Plus tard, à l'ombre des
confidences échangées on y verrait presque comme en plein jour.
Parfois,
le Voyageur se disait que le travail qu'il lui revenait de faire
pourrait peut-être se résumer à une seule chose : apprendre à
accepter la présence des miracles au même titre qu'il acceptait la
pluie qui tombe ou le soleil qui se couche. Car derrière cette
acceptation, il y a la compréhension que tout est lié. Que les
bête, les arbres, les herbes, les pierres et les âmes sont toutes
reliées entre elles par un tissage dont nous ne percevons que
quelques écheveaux épars s'effilochant au gré du vent...
11/08/2015
Photo
: Sebastiao Salgado
Ce
jour-là pour le Voyageur n'était pas un jour comme les autres,
parce que ce jour-là, cela faisait très exactement un an, jour pour
jour, que celle qui avait été la Tant Aimée était partie
définitivement dans les contrées lointaines de ceux qui ne vous
aiment plus.
Violent,
abrupt, inenvisagé ; cela l'avait été, et même plus encore.
Cela aurait pu le détruire (et il avait tant écrit dessus, qu'il
n'avait pas trop envie d'y revenir) et comme tout le monde en ces
circonstances il avait cherché alors des bouées de sauvetage
auxquelles s'accrocher. Il en avait trouvées, bien plus nombreuses
que prévu et, -bien plus que des bouées-, il avait aussi trouvé de
nouveaux courants porteurs qui l'avaient déposé sur de nouveaux
territoires inexplorés.
Mais
sur le coup, cela avait été comme un accident de voiture. Juste
avant tout va bien, et puis d'un coup, tout explose ; et, si
l'on s'en sort, on se remémore ensuite pendant des jours et des
nuits ce qui s'est passé, à quel moment cela aurait pu être évité,
les gestes que nous n'avons pas faits, ceux que nous avons faits mais
qui n'ont fait qu'aggraver la situation... Oui, pendant des jours et
des nuits. Jusqu'à ce moment, miraculeux, où l'on décide de deux
ou trois choses : un, constater que nous sommes vivants et que
cela est un miracle ; deux, arrêter de vouloir comprendre le
pourquoi du comment en acceptant qu'il y ait des choses qui puissent
échapper à notre compréhension ; trois, décider qu'un tel
accident ne peut advenir pour rien, et qu'obligatoirement il a eu
lieu pour qu'il se passe quelque chose qui ne se serait pas passé
sans lui.
Et
le futur lui avait donné pleinement raison. Depuis, une autre flamme
s'était allumée dans deux cœurs. Et puis, à l'occasion de ce
séisme, s'étaient ouvertes en lui de grandes portes d'entrée par
lesquelles la voie du Tambour avait pu faire son chemin, puissante et
majestueuse.
Et
sur ce chemin-là, la veille de cette journée anniversaire -l'être
humain adore fixer des anniversaires pour tout-, une femme très
ancienne et au faite de toutes les choses de l'amour, lui avait
appris deux ou trois choses et lui en avait rappelé d'autres.
-
« Oui, vois-tu, lui avait-elle dit, les grandes blessures
d'amour doivent ouvrir le cœur, créer une béance, plutôt que de
le fermer ; car c'est par là que rentre ensuite l'amour
universel, inconditionnel. Tu as fait du chemin, une autre flamme
s'est allumée depuis, mais il reste en toi un chagrin inconsolé. Et
pour l'instant, tu dois vivre avec, car c'est par cette blessure
qu'est entré, et continuera d'entrer, l'inenvisagé dans ta vie.
Cette béance qui te fait si mal est aussi celle qui t'ouvre à nous,
à la Voie du Tambour, à notre enseignement... Il faut donc que tu
la remercies et pour cela, la meilleure manière est de poursuivre
sur cette Voie du Tambour : la voie de la Présence, du Tambour
et de l'Amour. Le reste n'est pas important. Il ne peut y avoir de
guérisseur et de guérison s'il n'y a pas la Présence et l'Amour...
Ta blessure et ta douleur sont sacrées ! Car, en étant
sensible, tu es... vivant ! Seuls les morts ne ressentent et ne
pensent rien. Tour ce qui t'arrive, tout ce que tu ressens, penses,
reçois, donnes, est l'occasion d'une expérience : celle d'être
vivant ! Et nous sommes en vie, juste pour honorer le Vivant,
pour honorer la Vie. La Vie est un perpétuel cadeau à
elle-même ! »
Une
vie est une traversée et il faut en aborder chaque instant comme un
capitaine de bateau en territoire inconnu. Un jour mer trop calme, un
autre une tempête, et à chaque fois .passer, traverser, avancer,
attendre... stable sur ses jambes, l'esprit libre de saisir toutes
les éventualités possibles. Et nos blessures comme zone de buvard
pour se remplir du Monde...
Plus
tard, après une longue marche, sur la Voie du Tambour, le Voyageur
reçut un dernier cadeau pour ce jour. Un vieil homme qui lui a
expliqué -et fait ressentir dans la moindre de ses cellules- que
tout était une seule et même conscience. Que tout résonne en elle,
du plus petit acte au plus gigantesque. Que tout est lié en elle. Le
pas du crabe sur la plage, l’irruption d'un volcan.. Tout résonne
en elle, parce qu'elle est le moindre atome et parce qu'elle est dans
le moindre atome ! Nous sommes dans cette conscience et nous
sommes cette conscience. Nous sommes comme une bouteille d'eau
ouverte plongée dans l'océan. Nous sommes à la fois la bouteille
et l'océan. Le Un et le Tout..
Un
an ce soir, oui, un an. Honorons nos blessures. Si elles ne nous
brûlent pas le cœur, elles nous l'élargissent. Et quand le cœur
s'élargit, l'âme respire pour autant. Et tout ce que nous
élargissons en nous, résonne dans le monde. Aucun acte, aucun
geste, aucune pensée qui n'aient pas d'échos. Tout interfère avec
tout. Nous sommes Conscience et dans cette immensité, nos peines de
cœur, nos manques, nos empêchements, nos peurs, nos maladies, nos
chagrins, nos rêves, nos colères, nos forces, nos faiblesses sont
comme autant de particules, autant de murs et de promesses, qui font
vibrer le monde comme il va...
Un
an, jour pour jour. Le 11 août. Tous les ans. Le 11 août.
J'honorerai la blessure qui m'a fait...
22/06/2015
Gustave
Doré - Contes de Perrault
Le
monde est habité de présences que nous ne percevons pas ; et
je ne tenterai pas d’en convaincre qui que ce soit, moi-même il y
a encore peu ayant été fort peu sensible à ce genre d’affirmation.
Convaincre, donc ; non. Mais laisser à percevoir ou à
ressentir ; oui. Même si tu n’appelles pas cela
« présences », mais « inspiration, ou
« évocations ».
J’écris
moins sur ce blog, parce que je suis entré de plein pied en des
territoires où, ne serait-ce que témoigner, sans que l’on te
prenne pour un dingue, est difficile. Je fais le chemin que j’ai à
faire. J’apprends, sans cesse, et ai organisé ma vie autant que
faire se peut afin de me rendre disponible à cet apprentissage.
Et
puisque j’ai écrit les mots « d’inspiration » et
« d’évocation », cela m’amène à parler du conte.
Je l’ai déjà dit : les contes (au moins les merveilleux),
les mythes et les légendes, sont les survivances au-delà du temps
des premiers voyages chamaniques. Un jour, si j’ai le temps et
l’envie, écrirai-je un livre à ce sujet avec force démonstration
à l’appui. Après chaque voyage du chamane, il est très probable
d’imaginer que l’assistance lui demandait de « raconter »
ce qu’il avait vu et vécu, et qu’au fil du temps, certains de
ces récits se soient cristallisés en des histoires transmises
ensuite de générations en générations. Ces histoires sont donc
porteuses d’autres choses que ce qu’elles semblent raconter.
Parce que, si on les transfère dans une culture chamanique dans
laquelle chaque chose à un esprit, ces histoires ne parlent que de
ça. S’il était question d’un cerf dans une histoire, par
exemple, il ne s’agissait pas que de l’animal mais aussi de
« l’esprit » du cerf, de l’esprit de
« l’espèce-cerf ». Et les esprits dans ces cultures-là
sont des principes agissants (et O combien !) et non de simples
vues de l’esprit. Ainsi dans ces contes dits merveilleux, sans que
nous ne le sachions vraiment, il n’est question que « d’esprits »
et de voyages initiatiques dans lesquels, végétal, animal, minéral,
cosmos et humain échangent et interagissent entre eux sur un même
niveau de compréhension. C’était en des temps où l’homme
inscrivait sa présence dans une cosmologie dans laquelle tout était
relié et dans laquelle l’homme remerciait bien plus qu’il ne
prenait. Des temps, où l’on savait que l’esprit des êtres et
des choses pouvait soigner et où -par exemple- les directions
cardinales ou les quatre éléments étaient autant de présences
qu’il convenait d’honorer, ne serait-ce que parce qu’ils
pouvaient soigner.
Nous
avons perdu cela. Nous l’avons remplacé par une autre approche du
monde qui a produit de grandes choses bonnes pour le vivant et l’âme,
mais aussi des catastrophes sans doute irrémédiables et
d’insondables souffrances. Car en perdant la reliance au monde,
nous avons découvert la solitude, le mal-être, le doute, la peur et
tout est devenu sans signification, si ce n’est celle que notre
mental parvient à élaborer. Et cela ne suffit pas, simplement parce
que nous sommes bien plus que cela. Perdus, esseulés, coupés de
tout, nous sommes entrés dans une spirale infernale basée sur le
manque et sur le besoin de s’approprier et de dominer même ce qui
n’aurait pas dû l’être. Nous sommes devenus des voraces, des
boulimiques de tout, prenant encore et encore sans jamais pouvoir
étancher notre faim, devenant une sorte de mutant, certes
perfectionné mais dans un manque de paix et d’amour qui nous rend
fous (ainsi en va-t-il de tous les monstres !) et nous
condamnent à des comportements déments, au vu de la simple logique
du vivant…
Par
exemple, l’autre jour, suis-je passé dans un centre commercial
dans lequel on faisait des travaux et où l’on arrachait des
arbustes et des arbres au tractopelle. Et ce qui m’a marqué, ce
n’est pas le fait que nous fassions cela (après tout, l’homme a
bien aussi le droit d’arranger ses espaces), mais le peu de
délicatesse avec laquelle cela était fait. De même pour l’abattage
des bêtes. Oui, il est possible de manger de la viande et donc de
tuer, mais par pitié, faisons en sorte de le faire avec
bienveillance et non à la chaîne dans des conditions proches de la
torture. Tout cela n’est rendu possible que par le fait que nous
avons perdu cette reliance au vivant. Que nous avons oublié que tout
ce qui vit est ontologiquement de même nature et qu’il existe des
niveaux de réalité dans lesquels tout cela communique.
On
dit souvent à ceux qui tiennent ce genre ce propos : « délires
farfelus, rien de prouvable là-dedans ! ». Oui, bien sûr.
Mais retournons le raisonnement en affirmant que ce que nous appelons
« réalité tangible et ordinaire » -et qui existe bel et
bien, n’est peut-être qu’une autre transe qui nous accapare au
détriment d’une autre. Nous avons dans cette transe élaboré des
outils merveilleux basés sur le raisonnement et la cohérence
logique, mais qui ne fonctionnent plus dans d’autres états de
transe qui sont pourtant quand on les a expérimentés, tout autant
réels que les autres.
Il
se trouve, que les contes sont à la charnière de ces mondes. Ils en
sont le passage. Et comme tout conteur j’ai longtemps pratiqué, et
enseigné, que le conte était avant tout un art de l’évocation.
Ce ce que j’élargis aujourd’hui, en affirmant que certes, le
conte est bien un art de l’évocation et de la suggestion, mais
qu’il est aussi -et avant tout- un
art de la convocation.
Qu’est-ce
à dire ? Que de par l’origine très probablement chamanique
des contes merveilleux, des mythes et des légendes, c’est, qu’à
son insu, le conteur convoque en effets des « présences ». Et
que, que l’on y croit ou que l’on y croit pas, ces « présences »
sont là si le conteur fait bien son travail. Ainsi, la question
qu’un conteur devrait se poser, c’est : qu’est-ce que je
souhaite convoquer en racontant ? Au-delà de l’évocation, y
aurait-il invocation ? Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas
de faire du conte une nouvelle religion ou un nouveau mysticisme. Le
conte se présente sous une forme d’une simplicité quasi
miraculeuse et c’est pour cela qu’il touche si facilement :
parce que du coup, on ne s’en méfie pas… Il parle le langage de
l’âme et du cœur et ainsi, entre-t-il profondément en nous,
venant nourrir ce qui a besoin de l’être. Mais en tant que
conteur, nous avons une responsabilité : celle de nous
interroger sur l’art que nous pratiquons. Et il me paraîtrait
inconvenant, qu’à la condition que nous racontions le répertoire
dont il est question ici, (il est évident que les problématiques ne
sont pas tout à fait les mêmes concernant les contes facétieux ou
les récits de vie) nous ne le fassions pas et que nous ne tentions
pas, un peu, de pousser nos propres murs pour aller y chercher des
significations et des résonances plus profondes.
En
tant que conteur du merveilleux qu’est-ce que je contribue à
activer ce faisant ? D’où vient parfois cette grâce qui
semble saisir toute une assemblée ? Dans quelle généalogie de
l’esprit j’inscris les contes que je raconte ?
A
ces questions, je répondais il y a peu encore, et entre autre, par
Jung, l’inconscient collectif, l’anima et l’animus, etc…
Étant maintenant entré de plein pied (et de pleine âme si j’ose
dire) dans la Voie du Tambour, je répondrai différemment.
Je
dirais qu’en racontant ces récits, le conteur convoque des
« présences » qui vivent dorénavant aux lisières de
notre monde, après en avoir été chassées plus par désintérêt
des uns et des autres que par réelle volonté de s’en débarrasser.
Et qu’ainsi, le conteur réactive une union oubliée, replaçant
l’auditeur, les histoires, le conteur et ces « présences »
en un cercle qui n’aurait jamais dû être défait et dont nous
portons en nous la cicatrice inconsolable de la perte.
Le
conteur, quoi qu’il en pense exerce donc de fait et tout en
l’ignorant une fonction chamanique… Et les récits des premiers
temps regorgent d’histoires dans lesquelles il est dit que lorsque
les histoires sont bien racontées « elles ont le pouvoir de
transformer les bêtes en homme véritable. ». C’est-à-dire
d’éveiller en nous notre humanité la plus profonde, en venant
réveiller cette connexion à tout ce qui vit et dans tous les mondes
explorables. Oui, les histoires ont (sont) des « pouvoirs »
(et curieuse civilisation qui a fait de ce terme un synonyme
d’emprise sur l’autre, alors qu’il s’agit ici d’un
potentiel d’action sur le monde). Pouvoir de réunir ce qui a été
défait, pouvoir de guérir (car oui, je le pense, certaines
histoires peuvent guérir l’âme tout autant qu’un médicament le
fait d’une maladie), pouvoir d’éveiller en nous des savoirs
enfouis, pouvoir de faire revenir vers nous et en nous des présences
qui nous avons repoussées dans les limbes…
S'impose
alors une question :
-
Oui, bon d'accord, mais si l'on n'est pas sur la Voie dont tu parles,
comment pouvons-on, nous conteurs, envisager ce travail ?
A
laquelle une réponse vient en écho :
-
O, de façon très simple ! En se questionnant sur la manière
avec laquelle nous sommes habités par les personnages et les lieux
que nous racontons. Il est dit ici « personnages » et
« lieux », mais nous pourrions aussi parler « d'esprits »
et « d'esprits de lieux ». Ce n'est pas bien sûr tout à
fait la même chose, mais c'est une approche. Par qui et par quoi
suis-je habité quand je conte ? Comment vit tout ce monde en
moi ? Certains conteurs, à les entendre, sont aussi vides de
présences qu'un canyon abandonné, alors qu'il nous semble entendre
chez d'autres tout une symphonie chorale dans laquelle semble chanter
toutes les âmes du monde. Ceux-là, oui, sont de grands
« convocateurs » !
Pour
terminer, je vais te raconter une histoire que j’ai vécue
moi-même. C’était au cours d’un stage sur la Voie du Tambour au
cours d’un rituel que je nommerai « rituel de guérison ».
Je ne vais pas entrer dans les détails car certaines choses
n’opèrent que dans le mystère du cœur.
En
tout cas, j’ai souvent parlé sur ce blog de l’histoire du rabbin
de Vienne, racontée par Christiane Singer (tu la trouveras ici )
Je la raconte aussi dans un de mes spectacles. Il y est question d’un
vieux rabbin qui, pour soigner le monde et pouvoir mourir
tranquillement décide de faire disparaître toute trace de sa
souffrance en ce monde. Et pour ce faire, il se rend sur un pont de
son sa ville natale sur lequel il retrouve l’enfant qu'il a été,
apeuré et molesté presque jusqu’à la mort par des nazis, il y a
de cela longtemps. Il le console, le rassure, puis repart avec lui.
Et ainsi n’y a-t-il sur cette terre « plus aucune trace de sa
souffrance ». C’est une histoire ; une belle histoire
(et qui, je crois, est authentique).
Et
bien vois-tu, ce travail, je l’ai fait. Presque le même. J’ai
rencontré cet enfant apeuré comme si il était aussi réel que le
clavier sur lequel j’écris ce texte. C’était un travail où
bien des « esprits » étaient présents. Et vois-tu, moi
aussi, je suis maintenant guéri de cette blessure-là. Je croyais
raconter une belle histoire, alors que je racontais un rituel de
guérison. Et cette histoire vois-tu, je ne la raconterai plus jamais
pareil, parce maintenant, je sais les présences qu’elle convoque…
10/05/2015
Un
matin tôt, sortant pour partir au travail, il avait senti pour la
première fois l'odeur de pins embaumant l'air. Et le soir en
rentrant, il avait été accueilli par des odeurs de tilleul et de
lilas exhalant un printemps qui pourtant n'en finissait pas
d'arriver. Un peu avant, à à peine deux cents mètres de chez lui,
il avait aperçu, juste à l'entrée de la ville, une harde de
sangliers traversant la route.
Ainsi,
habitant depuis peu tout près d'une grande forêt, il avait
découvert à quel point la présence de celle-ci changeait même la
vibration de l'air. Il se sentait protégé par elle, comme si le
brouhaha du monde se trouvait filtré par l'imposante frontière
végétale qu'elle développait.
Allant
s'y promener, et sentant si fortement cette communauté végétale
l'entourant, il s'était rendu compte, imaginant le système
racinaire et en apercevant une toute petite partie affleurant au
niveau du sol, qu'à bien y réfléchir, on ne marchait pas que dans
la forêt, on y marchait aussi dessus. Peu à peu, sentant les
racines sous ses pieds, ressentant physiquement l'énergie fulgurante
contenue dans les troncs, se perdant en esprit dans les frondaisons
en imaginant le soleil capté par les feuilles et toutes cette
extraordinaire machinerie nommée photosynthèse, percevant les flux
et reflux à l'intérieur des arbres, ces marées de sève montantes
et descendantes ; il s'était dit que mieux vaudrait remplacer
l'expression "aller marcher dans la forêt" par "aller
prendre un bain d'arbres". Et ces bains d'arbres le
ressourçaient.
Il
avait grandi dans une civilisation qui lui avait appris les arbres
comme de simples morceaux de bois. Tout juste y appréciait-on la
possibilité de s'y mettre à l'ombre les jours de grandes chaleurs.
Il savait maintenant qu'ils étaient de grands maîtres dans l'art de
vivre et des présences attentionnées et respectueuses. Des maîtres
en guérison. Il savait aussi qu'une forêt est une
extraordinaire communauté, et dans doute un des écosystèmes les
plus riches que l'on connaisse. Il avait pris goût, habitant tout
près, à s'y rendre la nuit, et c'était un autre monde alors qui se
dévoilait. Un royaume caché à quelques mètres de chez nous. Une
expérience sensorielle parfois effrayante aux citadins peu habitués
que nous sommes ; mais aussi une immersion physique et psychique dans
un univers où tout vibre, où tout palpite et où tout parle. Le
silence du végétal n'étant qu'une chimère, le paradoxe étant que
pour l'entendre, il nous revient de faire silence en nos fors
intérieurs. Et il lui plaisait de savoir que "for" et
"forêt" avaient, par d'obscures et complexes liens de
causalité, la même étymologie.
Oui,
en forêt, tout parle et tout résonne. Là où trop ne perçoivent
que des morceaux de bois ou de simples terrains de jeux, la forêt
est le lieu de tous les enseignements. Y entrer, c'est entrer dans un
territoire qui n'est plus le nôtre de prime abord, mais qui pourtant
résonne et échange avec la moindre de nos cellules pour peu que
nous fassions paix et silence. Il nous revient d'apprendre à
entendre les conciliabules nocturnes des forêts préservées de
nous. Il ne faudrait abattre un arbre que contraint et forcé et ne
jamais le faire sans son autorisation, car ils sont frères de nous
en tant de choses qu'en abattre un revient à s'amputer d'une part de
nous que nous méconnaissons mais qui est pourtant là, inscrite au
plus profond de nos cellules.
De
toutes ces promenades, de tous ces voyages sur le chemin du Tambour,
il avait entre autre chose appris que les arbres, les plantes, les
pierres, les sources, la terre, le bois, l'eau, les animaux, le
vent... pouvaient avoir sur nous un extraordinaire pouvoir de
guérison. Non pas tant par les composés chimiques que l'on peut y
trouver, mais par le miracle de leur simple présence.
Ainsi,
savait-il que se connecter à un arbre, s'y connecter vraiment en le
touchant d'une partie de notre corps, pouvait nous purifier de
l'intérieur, nous ressourcer et nous ré-ancrer pleinement dans
l'authentique puissance de notre présence au monde. Il avait appris,
par exemple, à nettoyer son cœur lorsqu'il était trop lourd de
nuages noirs et épais, en posant sa poitrine contre un arbre.
C'était
là encore un autre merveilleux miracle qu'il avait découvert : le
fait que la présence, la simple présence, peut guérir. Non pas la
simple existence matérielle d'un être ou d'une chose, mais la
qualité d'être de ceux-ci. La présence juste et profonde d'un
être humain (il pensait vraiment qu'à un certain niveau
d'accomplissement la simple présence d'un homme ou d'une femme
pouvait guérir), la présence d'un arbre, d'une forêt... Se
connecter au vivant, s'y connecter vraiment, peut avoir valeur
curative, car alors nous rejoignons notre matrice originelle, notre
monde ontologique, notre énergie fondamentale.
Vivant
là, au plus près de cette matrice énergétique de la grande forêt,
poursuivant ses voyages sur le chemin du Tambour, il était entré
dans un monde qui exigeait de lui de se mettre en situation de
pouvoir recevoir les merveilles qui lui étaient offertes. Il était
donc dans ce travail de nettoyage, presque d'ascèse. Il nettoyait
ses filtres, ses prismes et ses antennes -atome par atome, cellule
par cellule- ; sachant qu'à un moment, les mots pour dire tout cela
deviendraient peut-être difficiles à trouver. Alors, sans doute, la
simple présence prendrait le relais.
Les
arbres étaient devenus pour lui comme des membres de sa famille. Il
savait aussi qu'il était sur un chemin de guérisseur dont les
modalités lui étaient dispensées mois après mois. Une sorte de
médecine holistique visant à reconnecter chacun à sa source
profonde. Et pour l'heure, il faisait ce travail sur lui-même...
24/12/2014
Photo
: Gregory Colbert
Ceux
qui Savent lui avaient parlé de la lagune. Il lui avait dit qu’à
certaines périodes de l’année, à l’occasion du solstice
d’hiver principalement, il était possible de La rencontrer. Ils
disaient que nombreux étaient ceux qui avaient essayé mais que
rares étaient ceux à y être parvenus. Ils lui avaient dit d’y
aller seul et après plusieurs jours de retraite hors du monde des
hommes, à écouter les bruits de la nature et à se bercer de la
lenteur du monde.
Il
avait donc passé six jours et six nuits à vagabonder du côté de
la lagune, vivant de pêche et de quelques baies et racines
ramassées, dormant près d’un feu rudimentaire et passant ses
jours et ses tombées de nuit à regarder l’horizon de la lagune,
écoutant le vent, les vagues, et parfois au loin, les chants
orphiques des Grandes Migratrices.
A
l’aube du septième jour, juste avant que les couleurs
n’apparaissent, il était monté à bord de son embarcation, avait
revêtu sa combinaison de plongée et se mouvant juste à la force de
la pagaie s’était dirigé vers le centre de la lagune. C’était
un matin blanc de silence et même le vent était encore couché.
Serait-elle là ? Il n’aurait pu le dire. Personne ne le
savait jamais à l’avance, il essayait juste de ne pas prendre de
décision personnelle et de se laisser mouvoir par une intuition
qu’il ne maitrisait pas.
Parvenu
au centre de la lagune, dans cette aube de premier matin du monde
nimbé d’un silence de diamant, il s’est arrêté et a attendu.
Longtemps. A un moment déchirant le silence, le cri d’une mouette
lui a fait lever les yeux vers le ciel, et c’est lorsqu’il a
rebaissé la tête qu’il a vu à une dizaine de mètres l’eau
s’agiter, tourbillonner, et qu’elle a surgi telle une apparition
mythologique. Elle devait être très âgée au vue de tous les
organismes fixés sur sa peau et aux traces de blessures visibles sur
son corps. Elle était immense, et les vagues soulevées par ses
déplacements faisaient tituber la barque comme un bouchon de liège.
Ses geysers d’eau et d’air propulsaient vers le ciel de fines
gouttelettes qui retombaient en pluie fine sur son visage.
Délicatement, il s’est approché du bord de la barque et s’est
laissé glisser dans l’eau relié à elle par un long fil
invisible ; puis il s’est mis à nager, doucement et sans
à-coups. A nager vers Elle.
Ce
qui s’est passé ensuite comment pourrait-il le dire ? Comment
elle s’est laissé approcher, comment il a plongé profond, la
suivant, fluide dans ses mouvements. Comment peu à peu, au
fur-et-à-mesure qu’ils plongeaient et remontaient vers la surface
en ce ballet à deux sans fin, la profondeur du ciel –peu à peu
étoilé contre toute logique humaine- s’est peu à peu mêlée aux
bleus profonds des abysses ne formant bientôt plus qu’un seul
élément matriciel d’un bleu sombre et profond dans lequel, lui ;
le Voyageur, et Elle la Grande Migratrice ; ne faisaient plus
qu’un dans un mouvement synchrone et fluide. Elle a alors approché
son visage du sien, suffisamment près pour qu’il puisse voir dans
son œil profond une bienveillance infinie, et elle lui a parlé :
-
Je suis la Conscience du monde et tu fais partie de cette
conscience-là. L’univers a une conscience globale ; chaque
conscience individuelle est reliée à cette conscience plus grande.
Si tu restes centré sur tes problèmes personnels et strictement
personnels, tu perds le contact avec elle. Tu te demandes, n’est-ce
pas, comment te relier à cette conscience globale ? Et bien,
c’est très simple : en t’y baignant ! Elle ne se
comprend pas par l’intellect ; elle ne se cherche pas par la
volonté ; il faut juste s’y baigner. C’est une intention.
Etre vigilant à ce qui nous échappe, à ce qui s’échappe.
Cette
conscience universelle est faite d’amour. Vous les hommes, avez
inventé les barrières et les séparations. Tout être vivant est
relié à cette conscience : les chats, les souris, les arbres,
et même les insectes… Quand on se connecte à cette
conscience-là, on peut donc se connecter à tous les êtres vivants,
où qu’ils soient. C’est un espace, un continuum, qui échappent
à notre conscience individuelle alors que toutes les choses y sont
reliées : tout être, toute chose est relié dans cet espace de
conscience-là ; au-delà de toi.
Se
relier à cette matrice-là - puisque c’en est une- c’est se
relier à l’infini des êtres et des choses quel que soit leur
emplacement dans l’espacer physique. C’est un champ d’énergie,
dans et par lequel, tout est relié.
Il
conviendra que tu fasses des exercices en demandant de te relier à
cette conscience-là. Et d’ailleurs, le Tarot que tu pratiques
s’inscrit dans cet espace-là. C’est dorénavant ton travail. Et
puisque ta mission est désormais de guérir les êtres des blessures
de l’âme et de certaines blessures du corps, je vais t’enseigner
comment soigner avec tes mains et quelques autres choses…
Et
là, dans cet espace flottant entre eau et ciel profonds, Elle lui a
transmis quelques secrets oubliés ou perdus dans le silence des âmes
se murmurant l’une à l’autre. Et de tout ce qu’il a reçu, il
ne pourrait tout dire. Juste peut-être, cette boutade comme un
mantra prosaïque : « le joyeux, c’est le joyau ! ».
Plus
tard, sans qu’il ne comprenne bien comment, il s’est retrouvé
dans sa barque devenue une sorte de pirogue effilée, qu’il
manœuvrait debout à l’arrière s’appuyant sur une longue gaule.
Il n’y avait plus d’eau, juste un espace infini dans lequel il
flottait, lui et sa barque, ombres blanches se découpant dans
l’immensité du ciel et se dirigeant vers le soleil qui lui apparut
soudain alors sous la forme de l’arcane du Soleil dans le Tarot de
Marseille et qui lui dit :
-
Oui, je suis le Soleil. Moi aussi je suis relié à toute chose et je
nourris toute chose. Chaque être vivant est protégé par moi et
nourri de mes rayons, de mes photos et de tout ce que j’envoie.
Chaque arbre me chérit. Je suis lumière pure et il revient à
chacun de se laisser toucher par ces boules de lumière qui
descendent vers vous. Elles sont plus que de la lumière. Elles sont
de l’information, de la conscience universelle ; donc, de
l’amour. Ces deux êtres-là (les deux personnages sur la carte)
ont fait un long chemin. Ils sont fatigués et d’un coup découvrent
l’amour universel. Ils découvrent qu’ils en sont baignés,
littéralement baignés. Qu’ils nagent dedans, qu’ils s’y
baignent. Ce champ de conscience-là, ce champ d’amour est
invisible aux yeux et à vos machines, et pourtant, il existe. Oui,
tu peux revenir me voir avec ta barque. Oui, tu peux…
Plus
tard, bien plus tard, le Voyageur de la lagune est revenu sur la
terre des hommes après avoir promis à Celle qui lui avait parlé de
la Conscience du Monde qu’il reviendrait la voir pour d’autres
enseignements. Dans ses mains, il sentait une sorte de lumière dorée
circuler et il était impatient de la redonner au monde.
Dans
la nuit qui suivit, il fit un rêve. Il rêvait qu’il marchait dans
une forêt qu’il ne connaissait pas. Il avait neigé et il était
perdu. Lorsque soudain, il a su. Su que bien que ne connaissant pas
cette forêt, il savait parfaitement s’y repérer et retrouver le
chemin du retour. Qu’une part de lui connaissait le moindre arbre,
la moindre trace d’oiseau sur la neige, la moindre piste de
chevreuil ; et ce rêve qu’il faisait lui semblait avoir la
force d’un rêve de vision lui disant qu’il ne se perdrait plus
jamais, pour peu qu’il se relie à l’œil de la Baleine et à ce
qu’elle avait commencé à lui apprendre…
15/12/2014
Photo
: Floriana Barbu
Une
nuit récente, le Voyageur a fait un rêve. Il a rêvé que dans un
couloir de métro il y avait une femme qu’il connaissait et qui
était assise, désemparée, des valises à côté d’elle,
visiblement à la rue. Elle lui disait :
-
Depuis que tu m’as quittée, je suis perdue, je ne sais plus où
aller, je me sens abandonnée, je n’ai plus de ressources, plus
d’envie de vivre, je n’ai plus de lieu...
Elle
se levait, s’approchait de lui, se blottissait dans ses bras et
ajoutait en larmes :
-
Tu es trop fort pour moi, trop fort pour moi !
Quelques
jours après ce rêve, questionnées à son propos, les Voix
apportées par le Tambour lui ont dit :
« Parce
que nous sommes toutes les parties de ce que nous rêvons, comme un
puzzle sans fin aux innombrables pièces, cette femme abandonnée
représente ta part vulnérable : tes peurs, tes angoisses, tes
fragilités, ton maque de confiance en toi, tes ombres, tes
blessures… qui se sentent reléguées, depuis que tu danses avec ta
puissance de vie. Et parce que nos blessures et le cortège qui les
accompagnent sont autant d’étapes initiatiques, elles ne sont pas
des choses dont il faut se débarrasser n’importe comment. Il ne
faut pas leur dire : va-t’en ! Il faut les accompagner.
Tes peurs, tes secrets, sont un moyen de connaissance ; il faut
donc les respecter, ne pas leur dire : « partez ! »
sitôt qu’elles arrivent. Et lorsque, grâce à elles, tu as trouvé
ce dont tu avais besoin, ne les relègue pas, mais aide-les à
rejoindre les lumières qui dorénavant t’accompagnent. C’est
comme cela que ça se passe au niveau du Cœur et de la psyché. Tu
as en toi des parts d’enfance blessées, tu te dois de les voir, de
les accompagner et de les mener vers la lumière… C’est cela le
secret, c’est cela…
Ne
profite pas de la puissance intérieure à laquelle tu t’es enfin
connectée pour les abandonner, car alors, tu crées un écho sans
fin qui reviendra un jour où l’autre. Les seules blessures qui
vaillent ne sont pas les blessures niées et envoyées de l’autre
côté de l’enfer, mais celles qui ont rejoint, naturellement ta
part de lumière. Tant que ce travail n’est pas fait, subsistent
encore des irrésolus, des non-libérés qui reviendront te hanter.
Chaque
blessure conscientisée est une chance. C’est cela le Voyage du
Héros. Les épreuves qu’il rencontre sont ses blessures
intérieures et ses peurs les plus profondes. Alors, il travaille
avec elles, il les affronte, il les apprivoise, il les dompte, il les
transforme ; ainsi d’étapes en étapes, comme un parcours
infini à refaire encore et encore, jusqu’à la nuit des temps. Et
à chaque étape passée, alors son chemin s’élargit, ses épaules
se redressent, il s’allège de ses poids, de ses conditionnements,
de ses empêchements. Et, jour après jour, nuit après nuit, il
grandit, captant un peu plus de l’immensité du monde, élargissant
ses paysages intérieurs, se dépouillant de l’inutile.
Le
Voyage du Héros, c’est l’aventure de la conscience en quête
d’elle-même. C’est le travail de toute âme à s’accomplir,
jusqu’à relier le Tout en une conscience unifiée, large et
joyeuse. C’est là la finalité de toute vie humaine et donc de
toute âme pour un temps incarnée.
Les
22 arcanes du Tarot sont autant d’étapes par lesquelles tout être
passe obligatoirement pour accomplir ce travail. Chaque étape est
potentiellement en elle-même tout autant une épreuve qu’un
enseignement. Chaque Arcane semble demander :
-
Qu’as-tu donc à apprendre en ce moment ? Quel enseignement
as-tu besoin de recevoir ? Quelles épreuves as-tu à passer ?
Pour
ce faire, le Héros en chemin - et tout être humain est un Héros en
chemin à chaque seconde de sa vie- doit travailler sur, et avec, sa
vie intérieure, sa vie sociale, sa vie émotionnelle, sa vie
spirituelle, sa vie physiologique. Sur chacun de ces chemins, à
chacune de ces étapes, il y a des questionnements, des doutes, des
remugles, des retours… Il se doit de travailler avec cela, et alors
il avance. Le Héros avance pour changer la situation qu’il a
trouvée dans le monde, parce qu’il ne peut faire autrement et
parce qu’il change lui-même.
Le
Tarot est un chemin d’accomplissement de la conscience qui va du
sujet vers le transpersonnel. Un jeu qui va du Je au Un en passant
par le Tout. Un chemin de croissance, le récit d’une aventure dont
chaque être est le Héros. Un miroir sans fin de nos joies, de nos
égarements, de nos émerveillements, de nos immensités comme de nos
petitesses. C’est pour cela aussi que sa polysémie est infinie.
Mais
n’oublie pas : tes peurs, à un moment sont tes alliés. C’est
difficile à comprendre, mais ce sont tes blessures qui t’enseignent.
Alors, respecte-les et chemine avec elles jusqu’à ce qu’elles
aient rejoint tes lumières et s’y soient fondues. »
Le
Voyageur avait reçu ses paroles apportées par la Voix du Tambour.
Quelques jours plus tard encore, lors d’un stage sur le Tarot,
« Celle Qui a Transmis les Arcanes » avait demandé au
Voyageur et à un de ses Frères de Tambour d’accompagner de leurs
tambours un travail avec les arcanes. C’était une première en ces
lieux et ce fut beau et profond. Une voix lui avait dit le matin-même
sans qu’il n’en comprenne vraiment le sens, « que la
vibration du Tambour était la même que celle du Tarot ». A un
moment, les vingt-deux (22 !) personnes présentes travaillaient
en binômes dans la profondeur de la Présence induite par les
tambours, loin de tout bavardage social, pleinement présentes et
murmurant ; centrées et concentrées. Inoccupé un moment, le
Voyageur a alors fermé les yeux et ce qu’il a capté alors l’a
bouleversé en le remplissant de joie.
Car
alors, toutes ces voix et ces murmures lui sont apparus comme la
bande son d’une forêt primaire avec son cortège de chants et de
cris d’oiseaux s’élevant sous la canopée et chantant la simple
joie d’être. Et c’était là un bien bel enseignement qui lui
était offert : celui qui dit que lorsque les êtres humains
acceptent de taire leurs babils intérieurs et de quitter leur monde
pour les clairières originelles où l’âme alors travaille ;
alors, leurs voix murmurées deviennent chants, retour à un originel
que nous avons perdu. Et ces voix qui deviennent chants d’oiseaux,
viennent alors se mailler avec la trame du monde et le tissu du
vivant pour produire alors un chant unique qui est celui de la
Vie-même. C’était beau profond et d’une innocence étonnante,
aussi joyeux et profond qu’un ruisseau dans la montagne ou qu’une
colonie d’oiseaux lançant leurs chants au petit jour.
C’est
dans ces clairières-là que le Voyageur désormais se devait de
vivre, et le Tambour l’y amenait, lui faisant suivre souvent le
chemin du Tarot. Et ce qu’il découvrait le ravissait de jour en
jour. Lui, le Voyageur, semblait enfin avoir trouvé ses clairières.
Là où il se sentait pleinement vivant et où il se devait de mener
tous ceux qui le voudraient…
27/11/2014
Une
lumière dans le ciel...
« Les
gens sont des légendes et leurs âmes prennent le maquis. »
(Alain Bashung)
Ainsi
donc, chaque vie est une légende à vivre et à écrire qui nous
incite -pour ne pas dire oblige- à révéler le héros qui est en
nous.
L’existence
humaine, les contes, les légendes et les voyages chamaniques ont
ceci en commun qu’ils sont un voyage et une quête ; une suite
d’épreuves, d’émerveillements, de cadeaux, de rencontres, de
deuils, d’enseignements et de métamorphoses qui tous, nous
enjoignent à accomplir ce qui doit l’être. Le héros, au départ
personnage comme les autres, est celui qui peu à peu sait ne jamais
se dérober à ce qu’il a à vivre. C’est en cela qu’il se
révèle « autre »; dans l’acceptation confiante de ce
qui lui arrive, dans sa capacité à triompher des obstacles les plus
cruels et à trouver les ressources pour avancer. Ressources
intérieures et recours à la magie du monde, à la force du vivant,
à l’invisible parfois de ce qui nous entoure.
Ce
chemin du héros c’est le chemin de l’âme. Le chemin par lequel
l’âme est fécondée par un plus grand que soi que certains
appellent « l’esprit », d’autres « dieu »,
d’autres encore autrement, mais peu importe. Jung l’appelait le
« processus d’individuation », mais le conteur -cœur
simple qu’il essaie d’être, lui préfère l’expression
« chemin de l’âme ».
Les
conteurs (en tout cas ceux qui s’inscrivent dans cet espace-là) et
les chamanes, lorsqu’ils racontent ce qu’ils ont vu et vécu en
voyage, sont comme des ventriloques (1) :
ils parlent à la place de l’âme, que nous qui les écoutons,
parfois, n’entendons plus depuis longtemps, ou par bribes éparses.
Ils tiennent donc un propos que nous reconnaissons immédiatement
mais qui est resté bien trop souvent informulé. Ils sont un écho
de ce que nous avons perdu ou oublié ; ils font parler notre
âme, et en les écoutant, c’est le reflet de nos propres
profondeurs que nous retrouvons. C’est en cela que leur Parole est
guérisseuse : parce qu’elle nous reconnecte à la dynamique
de l’âme que nous avons perdue. Ils sont comme les voyageurs
revenant de leur quête chargés de cristaux trouvés sur le chemin
et qui les proposent à qui les veut sur les places de marché, sur
les estrades ou dans l’intimité d’une rencontre. Parfois ceux
qui les écoutent les acceptent émerveillés et les reçoivent avec
gratitude, et parfois les refusent ; préférant voir de simples
cailloux à la place du cristal, des boniments tout juste fait pour
amuser ou pour tromper le chaland, des rêveries sans queue ni tête
dont ils n’auraient pas besoin.
Il
n’y a de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, et nous
vivons –force est de le constater, dans une période sourde dans
laquelle le bruit du monde est préféré à la voix de l’âme.
Conteurs,
artistes, chamanes, chacun à leurs manières, sont les échos de ce
que nous avons perdu. Ils nous renvoient à notre part manquante en
nous disant :
-
Écoute, regarde, sens. Elle existe. Ton âme existe et ne demande
qu’à être nourrie. Elle te murmure ou t’enjoins à rejoindre
ton propre chemin et non à errer sur des routes tracées par et pour
d’autres. Elle te dit qu’en toi, un héros ou une héroïne est
en sommeil et ne demande qu’à se réveiller. Elle te souffle que
le monde est Merveille une fois dépassés les canyons du manque, du
ressentiment, de la victimisation, de l’aveuglement, de la surdité
organisée, des croyances toutes faites et imposées, de la
désespérance exténuante, du cynisme désabusé comme parade
illusoire… Elle t’appelle à trouver la force de te mettre en
marche, à nourrir la graine de conscience que tu es, à la planter
dans un bon terreau et non à l’enfouir au fond d’un pot pour ne
plus avoir à y penser. Elle te demande de rouvrir ta capacité
d’entendre pour enfin recevoir ces appeleurs d’âmes qui partout
dans le monde témoignent de l’extraordinaire fécondité de notre
chemin dès lors que nous acceptons de les entendre.
Parfois
ils sont entendus, parfois ils parlent dans le désert. Mais si eux
peuvent éventuellement faiblir –voire mourir ; l’appel de
l’âme, lui ne meurt jamais. Même tue, l’âme ne meurt pas ;
elle s’endort tout au plus en attendant que quelque chose vienne la
réveiller pour qu’elle redevienne audible. Même peu fréquentés,
les chemins intérieurs de l’aventure et de la quête attendent le
voyageur. Et sur ces chemins-là c’est peu de dire la diversité et
la magnificence des créatures, des voix, des enseignements, des
paysages que l’on y côtoie.
En
un monde hostile et froid, le voyageur se met en marche, et le héros
qu’il devient en ramène des pépites d’or et des cristaux
bleutés. Ils nous les ramènent : prenons-les… Polissons-y
nos yeux, collons les à nos oreilles. Un chamane ou un conteur nous
racontera alors ce qu’il a vu en nous murmurant :
-
Oui, toi aussi tu peux…
Alors
nous essayons, et quelque chose en nous guérit : notre âme
enfin reconnue.
(1)
: cette partie du texte est directement inspiré d’un passage du
livre « Quête de vision, quête de sens », de Paule
Lebrun (éditions Véga – Page 177 et suivantes)
18/11/2014
Ami,
un jour peut-être, feras-tu l’expérience d’être graine. Tu te
laisseras, toi Homme, tomber jusqu’à la terre, tu t’y enfouiras,
percevant les odeurs, la terre contre ta peau, le froid, le chaud,
l’humide… Tu t’y rouleras voluptueusement, tu rétréciras
jusqu’à devenir un point minuscule, un germe, une graine. Peu à
peu, la lumière disparaîtra. Tu feras connaissance alors avec
l’obscurité de la terre, l’obscurité de l’enfoui ; là
où la lumière ne passe plus ; privé de la vue et de l’ouïe,
tu ne seras plus que surface de contact et d’échanges, membrane
poreuse, puissance potentielle infinie. Tu te laisseras descendre de
plus en plus profond et tu découvriras l’attente immobile, le
temps qui passe en un infini qui s’étire. Tu n’auras plus d’égo,
plus de volonté ; juste la force inextinguible du vivant qui
n’a besoin que de croître envers et contre tout, que de retrouver
le vent et la lumière, et puis de mourir pour redevenir graine, puis
croissance à nouveau.
Alors,
quand tu auras atteint ce point d’extrême concentration, quand tu
ne seras plus que cette petite boule déposée au hasard du monde, tu
découvriras quelque chose de stupéfiant. Tu découvriras que la
graine sans son environnement n’est rien et n’a aucun avenir.
Rien.
Oui,
exactement : rien. Plus aucune promesse de devenir, plus aucun
potentiel à réaliser. Car sans les nutriments qui la baignent, sans
l’eau qui l’hydrate, sans cet écosystème extraordinairement
complexe et élaboré au fil des siècles, la graine meurt. Elle ne
peut exister que par ces milliers d’interactions avec son
environnement qui la nourrissent et lui permettent de croître et
d’amorcer sa poussée vers le haut. Elle ne peut croître que dans
cette immersion matricielle qui la nourrit. Et veux-tu l’entendre ?
Tout ce grandiose et petit monde se remercie depuis l’aube des
temps et pour une éternité encore…
La
graine, en partie, se décompose dans cette obscurité du monde. Il
ne peut y avoir de gestation sans obscurité. La lumière viendra
plus tard, comme une explosion chantant le passage vers un nouveau
cycle, une nouvelle matrice, une métamorphose. Pour l’instant, la
graine est encore sous terre, un germe déchire sa membrane comme une
promesse en devenir, se meut vers le haut selon un savoir que nous ne
connaissons pas encore. Et puis, enfin, la lumière ; à
l’osmose noire avec la terre, au contact de membrane à terreau,
succèdent le vent et la lumière. La graine ne perd pas son
enracinement dans la terre ; elle ne le perdra jamais, même- et
surtout- quand l’arbre qu’elle sera devenue pèsera plusieurs
centaines de tonnes et touchera la cime du ciel. Simplement,
désormais, elle sera de deux mondes : du monde de l’obscur et
du compact et de celui de la lumière et du fluide ; vent, pluie
et énergie du ciel. Et ces deux mondes-là, qui jusqu’au bout la
nourriront sans fin, avant que morte ce qu’elle sera devenue ne les
nourrisse à son tour, elle les réunira en une osmose jouissive,
orgasmique, chantant la simple joie d’être et de vivre.
Entre
les deux, comme un pont les reliant, la tige et puis le tronc.
Solidité de ce qui soutient ; invisible de ce qui nourrit :
lumière, sédiments, chlorophylle, chimie du vivant, physique de
toute forme. La graine est potentiel dans l’invisible de l’obscur
enfoui, poussée vers le haut d’une puissance inouïe, verticalité
vers la lumière, souplesse s’abandonnant au vent. Elle est d’au
moins trois mondes et des quatre éléments : air, terre, eau,
feu.
Ce
qu’elle est, ce qu’elle devient, pas une micro seconde ne sont,
ne serait-ce qu’une seule fois, coupés de ce qui la baigne et la
nourrit. Elle ne peut vivre qu’ainsi : reliée, immergée,
imprégnée, baignée, traversée, irradiée, ondoyée…
Alors,
toi Homme, devenu graine, puis germe, puis brindille fragile, puis
arbre ; toi ayant refait en ta moindre cellule, ce processus
universel ; percevant tes racines se déployant profond sous la
voûte de tes pieds jusqu’au centre de la terre, sentant ton corps
droit -pont entre terre et ciel, incarnant ta cime et tes branches en
une exaltation de lumière reçue et dansant avec le vent jusqu’aux
fin-fonds du ciel ; alors, tu comprendras. Tu comprendras
ontologiquement, définitivement, que tu es dans ton monde d’homme
comme graine dans la terre et arbre dans le ciel.
Que
comme la graine nourrie de la terre qui l’enserre, tu respires par
ta peau, que tout autour de toi : lumière, air, eau… te sont
nourriture et nutriments pour grandir. Que tu es baigné et parcouru
d’énergies venues du bas comme du très haut. Et que sans cet
environnement que tu as méconnu presque toute ta vie, tu n’aurais
aucune chance de survivre. Ainsi, es-tu interagi en permanence ;
la vie qui est en toi, t’as été donnée et ce que tu appelles
« je » n’y est absolument pour rien. Ton « je »
a juste pour mission de faire prospérer et croître la graine qu’il
représente afin que la vie dont il est dépositaire ait matière à
réjouissances.
L’homme
est pont entre ciel et terre ; il a besoin pour vivre tout
autant de nutriments que de lumière. Il est un potentiel surgi de la
terre pour bondir vers l’éternité du ciel. Certains disent qu’il
a été déposé dans la matrice du corps par un principe plus grand
que lui et qu’il ne connaît pas… Il est corps et lumière.
Matière et particules. Il est une matrice de possibles, un athanor
qui se doit d’apprendre à concilier terre et ciel en lui. Et plus
il s’élève plus il doit s’ancrer. Et plus il s’ancre plus il
se doit de s’élever. La Vie est croissance sans fin, dans toutes
les directions et dans tous les possibles, et la conscience aussi.
L’Homme se pense seul alors que tout autour de lui le nourrit et le
porte. Il est immergé dans un océan d’amour et de dons auxquels
il reste trop souvent et désespérément sourd.
Marchant,
tu peux te sentir comme un nageur dans un océan de cadeaux qui le
nourrissent. L’air que tu traverses, les énergies qui te
rencontrent, sont comme la terre pour la graine ou l’eau pour la
créature marine. Tu es relié au monde par l’air que tu respires,
par l’eau que tu bois, par le légume ou la viande que tu manges,
par le sol sur lequel tu poses tes pieds, et, d’un point de vue
plus subtil, par tout un réseau d’intentions et de pensées qui un
jour finissent par prendre corps.
Ainsi,
peu à peu, la graine que tu es est-elle bouleversée de prendre
conscience de l’infini de ce qui la porte et la nourrit, elle qui
s’épuisait à se sentir si seule. Et se connectant à ce principe
de dons reçus, elle peut enfin accomplir ce pour quoi elle est
faite : croître, grandir, pousser vers la lumière et faire se
rejoindre en un élan de vie l’obscurité du sol et la lumière du
ciel… Elle, ce qui la baigne et quelques esprits bienveillants qui
l’éclairent…
Et
c’est peu de dire alors, à quel point de ce moment de bascule, la
perception du monde et du vivant change. Chaque parcelle de terre,
chaque arbre, chaque brin d’herbe, chaque particule de ciel,
deviennent pierres précieuses et présences amies. La Terre-mère
n’est plus un mot mais une compréhension profonde. Relié à eux,
nourri d’eux, conscient de ta responsabilité d’honorer la vie
qui t’a été donnée en partage, tu entres dans une autre
dimension de l’âme et du cœur. Redevable de tout mais réceptacle
de tous les miracles…
22/10/2014
Après
le désert, le Voyageur était entré dans des contrées aux contours
chatoyants. Dénudé, nettoyé, apuré, survivant ressuscité, il
savait maintenant que pour qui sait les écouter, -même et surtout
les traversées les plus sombres- étaient constellées, semées,
habitées de voix amies qu’il suffit de suivre pour qu’elles nous
guident.
Ainsi,
savait-il désormais qu’il existe un lieu, un espace intérieur, un
carrefour au croisement de plusieurs univers, au cœur duquel il est
possible de danser –littéralement, avec la Vie. Lui qui avait
passé presque toute sa vie à s’en sentir exclu, toujours en
conflit avec ce qu’elle lui imposait ou lui refusait, savait
désormais qu’il est possible de créer un chant commun avec elle.
Qu’il existe un mode d’abandon, de prière et de don à partir
duquel Elle et lui peuvent co-construire ensemble.
Ainsi,
en quelques poignées de jours, la Vie lui avait-elle offert les
présents les plus insensés, les plus inespérés et les plus
magnifiquement bouleversants. Comme si après l’épreuve, nettoyé
de tout, il était enfin à même de se reconnecter à la trame
infinie du Vivant et qu’alors, au-delà de toute raison
raisonnante, quelque
chose se mettait alors à l’œuvre ;
tissant, maillant, recousant, réunissant des morceaux de toiles
déchirées pour en faire un tissu magnifique qui venait réchauffer
ses frilosités les plus tremblantes.
Cela
était passé par des retours surprenants dans des lieux
géographiques d’un passé pas si lointain. Une revisite en
accéléré d’étapes importantes de ces dernières années avant
envol vers d’autres sphères, dans une dynamique de spirale sans
fin. Cela était aussi passé par une rencontre placée pour ainsi
dire sous le signe du surnaturel le plus déroutant et le plus
poétiquement émouvant.
Lorsque
soudain la Vie nous offre ce que nous avions espéré au creux de nos
plus inavouables secrets, il y a deux solutions : regimber,
reculer, en se disant que tout cela est trop beau pour être vrai ;
ou bien alors plonger, accepter, se laisser guider tout en restant
attentif à ses propres aveuglements, illusions, croyances
limitantes. La Vie est toujours plus grande et plus forte que nous,
et seules nos propres limitations la brident. Il faudrait pouvoir la
vivre libérés de nos rétrécissements et sans doute est-ce là la
dynamique profonde d’une conscience s’accomplissant : polir,
dissoudre, élargir ce qui nous limite pour capter la Vie-même dans
toute sa magnificence. Apprendre à vivre c’est dissoudre un
entonnoir…
Une
amie très chère lui avait fait remarquer qu’il avait une chose à
apprendre : c’est que lui, conteur du merveilleux et
enchanteur de mondes, par ses textes et tout ce qu’il partageait
dans les différents registres de sa vie, devait apprendre à
accepter que ce qu’il racontait et partageait inlassablement puisse
se réaliser simplement dans sa vie personnelle. Qu’il avait lui
aussi droit aux miracles, aux fées et aux métamorphoses ; lui qui y
avait cru, un temps, avant qu’une bourrasque ne vienne d’abord
tout emporter avant de finir par déposer un voile de merveilleux sur
tout ce qui l’atteignait.
Le
Voyageur apprenait donc à vivre, à trouver et à cultiver, ce lieu
au cœur duquel la Vie danse avec soi. C’était féerique,
intimidant mais bouleversant de beauté et de « saintes
chronicités » renversantes.
Il
avait traversé le désert. Une épreuve prenait fin. Il en sortait
extraordinairement vivant et plus émerveillé que jamais.
Il
savait depuis longtemps que d'un serrement de sa main, la Vie pouvait
vous broyer le cœur ou vous envoyer vers des bonheurs indicibles. Il
savait maintenant que presque toutes les souffrances qu'elle nous
impose (il dit « presque » parce qu'il existe des
souffrances qu'aucun humain ne peut supporter), derrière leur
cruauté, sont là pour nous ramener à nous-mêmes. Comme une
manière de remettre sur le chemin le voyageur égaré. Et il savait
aussi, que pour peu que nous acceptions de jouer le jeu et que nous
trouvions cet endroit de connexion vers tous les possibles, alors,
elle pouvait nous offrir des miracles.
Hier,
il a pris à nouveau le Tambour-cheval, puisque c'est par là que
tous les fils convergent, Après le voyage, il a repris le tambour et
l'a fait chanté, non pour voyager, mais simplement pour le faire
chanter et résonner avec le vent, les arbres, les pierres et tout ce
qui vit ; ici et dans les autres mondes. Parce que le Tambour
est comme nous : il a besoin de chanter avec le monde. De
manifester sa simple joie d'être...
27/09/2014
Il
y avait eu dans la vie du Voyageur beaucoup d’inaccompli, beaucoup
d'amours perdus, beaucoup d'inachevé, beaucoup de conflits, beaucoup
de choses bien commencées et mal finies... Et la situation -tout
autant effrayante que fascinante- dans laquelle il se trouvait,
l'obligeait à tout égard à trouver certaines réponses qui
jusqu'alors n'avaient cessé de se dérober.
Ils
étaient une douzaine dans cette salle, tout comme lui, voyageurs et
chercheurs, arpenteurs de vérités, chercheurs d'or, explorateurs de
contrées oubliées. « Celle qui Aide à passer entre les
Mondes » avait alors chevauché le Cheval Tambour et tous
étaient partis, à la recherche de bribes perdues et de passés
oubliés, remontant tel des saumons au torrent, vers le lieu et le
moment de leur origine et même un peu avant...
Oui,
le Voyageur était remonté jusque là, car, oui, ce moment
où quelque
chose s'incarne
dans un embryon existe vraiment...
Ainsi
avait-il compris que la façon de chacun d'investir le monde et sa
vie dépendait en grande partie de la manière avec laquelle il a été
attendu, espéré, accueilli... Comment prendre toute sa dimension
dans un monde qui ne vous attendait pas quand la rage même de
s'imposer vous manque ? Comment construire en soi la confiance à
vivre quand dès les premières secondes, quelque
chose ne voulait pas ?
Comment se sentir légitime quand dès le début nous étions déjà
un embryon usurpateur, un non-désiré s'imposant envers et contre
tout ?
S'inscrit
alors en soi comme une matrice reproduisant à l'infini le même
schème : « de toute façon, je n'ai pas ma place, je ne
serai ni d'ici ni de là, je serai de nulle part, je briserai tout ce
que j'ai installé, je ne mérite pas d'être aimé, et surtout,
surtout, je ne me permettrai jamais de prendre mon plein essor,
puisque je me dois de prendre le moins de place possible, moi
l'usurpateur, le non voulu, le non accueilli... »
Heureusement,
il existe des mondes où l'on répare pour nous ce qui a été défait
et brisé. Et puisque dans la vie du Voyageur, les clairières sont
les lieux de toutes les métamorphoses et de toutes les cérémonies
réparatrices, il y eut donc la Clairière de la Femme-Jardin.
Il
y régnait une lumière d'or pur, et en cette clairière, allongée
sur le dos, jambes écartées, ventre rond de parturiente, reposait
une femme géante faite de feuilles et de plantes. Une
femme-jardin-végétale. Par son sexe, le voyageur entra de son plein
gré et en toute confiance. Et lorsqu'il en sortit -enfin, tous
étaient là riant et applaudissant : père, mère, esprits,
guides, grands parents... l'accueillant enfin et à jamais et lui
souhaitant la bienvenue en ce monde ; leur monde.
C'était
comme une nouvelle naissance joyeuse et féconde, au cours de
laquelle tout conspirait à un bonheur sans faille dans une lumière
dorée de renaissance italienne.
Alors,
ivre de vivre et d'amour, en cette clairière, le Voyageur entendit
pour la première fois une voix qui lui murmurait :
-
Le temps est venu pour toi dorénavant de trouver ta place en ce
monde. Le Monde n'attend qu'une seule chose ; c'est que tu
prennes ta place. La Vie attend avec impatience de voir, d'entendre,
sentir et résonner ce que tu vas bien pouvoir faire désormais. Rien
ne l'attriste plus et ne l'appauvrit plus qu'une vie humaine qui ne
trouve pas sa juste mesure à vivre, parce qu'alors quelque chose
meurt dans l'ordre immuable des choses. La seule chose que la Vie
attende de toi est que tu vives pleinement dans l'expression de tous
tes potentiels, et si tu veux la servir, tu as juste cela à faire...
Ainsi es-tu né aujourd'hui pour de bon. Aujourd'hui ton âme est née
au monde et a été accueillie comme elle aurait du l'être il y a
maintenant bien longtemps... Attendu et accueilli par la Vie, tu
pourras enfin t'y autoriser à exprimer tous tes potentiels. Tu n'as
plus de peur à avoir, tu es légitime à vivre, légitime à être
aimé, légitime à construire et à bâtir, légitime à trouver ta
place...
Oui,
une nouvelle vie commençait et le Voyageur en était maintenant
certain : la psyché humaine ne fonctionne pas par la logique et
la raison ; elle fonctionne par les symboles, la métaphore et
les rituels. Pourquoi n'apprend-on donc pas cela à l'école ?
Pourquoi ne nous apprend-on pas à remonter à notre origine ?
Pourquoi nous coupe t-on de la Source ? Combien d'âmes mutilées
et de cœurs malheureux ?
Une
semaine plus tard, par une après-midi ensoleillé d'été indien, de
sombres remugles lui remontaient à la surface, faits de chagrin, de
colère, d'incompréhensions et d'une tristesse sans fond. Le
Voyageur s'est alors surpris à une réflexion : celle de se
dire que chaque remontée de boue venait lui nettoyer le cœur, comme
un principe de bassin de décantation. Un peu comme ces bouillons de
pot-au-feu que l'on écume à froid pour retirer le gras remonté à
la surface, jusqu'à ce que le bouillon soit clair. Oui, du chagrin
et de la douleur, il avait eu sa dose et il lui appartenait désormais
de se purifier le cœur de ses miasmes. Chaque sombre remontée,
progressivement, venant lui purifier le cœur.
« Le
cœur est une coupe, on ne peut le remplir que lorsqu'il est vide »,
lui a t-on soufflé quelques heures auparavant. L'amour est une
lumière parcourant le monde à la recherche de cœurs à remplir...
Le cœur du Voyageur est encore bien noir et une lourde peur de
l'amour s'y est installée, mais il apprend, en ces premiers jours de
sa nouvelle naissance, à peu à peu le nettoyer... Un jour, la
lumière y reviendra. En attendant, vivre... Et en cas de doutes,
retourner dans la Clairière de la Femme-jardin...
13/09/2014
Etty
Hillesum
Plus
la vie du Voyageur soufflait en vent contraire et plus ses voyages
intérieurs étaient beaux.
Et
quand certains postulent que la foi et la prière ne sont que le
réconfort illusoire de ceux qui n'ont plus rien, il savait désormais
que c'était très exactement l'inverse : le dénuement n'étant
pas un vide cherchant compensation, mais une des conditions pour que
foi et prière puissent enfin se déployer. Elles ne peuvent naître
et éclore que dans le secret d'un cœur à nu. Ici, pas question de
prières ressassées sans intention à l'infini, pas plus que d'un
catéchisme appris par cœur. Ici, il est question d'une âme et d'un
cœur qui, ensemble, s'inscrivent en un Tout plus grand qu'eux, et
résonnent avec le monde en des échanges de dons et de réciprocités
confiantes et mutuelles. La foi n'est, ni plus ni moins, qu'une
confiance inconditionnelle en un meilleur à venir quelles que soient
les contrariétés en cours. Une confiance tranquille. La prière,
une relation de cœur à cœur avec le Monde.
En
un mois le Voyageur avait fait le tour de toutes les désillusions,
de toutes les déceptions, de toutes les cruautés et de bien des
souffrances ; et dans le même temps, cette épreuve l'avait en
quelque sorte révélé à lui-même et avait ouvert un espace béant
de possibles dans lequel il avançait dorénavant. Le chagrin, après
une histoire d'amour défaite, est proportionnel à l'intensité de
cet amour perdu. La colère qui en résulte est en proportion de la
souffrance vécue. Les compréhensions qui en découlent sont à
l'aulne de ces peines pour peu que l'on veuille bien s'en donner la
peine.
Tout
est une question d'histoire que l'on se raconte.
Ainsi,
après deux jours de pur cauchemar au cours desquels toutes les
étapes et espoirs (en terme de travail, de logement, de processus de
guérison) sur lesquels il avait misé s'étaient vus disparaître,
le Voyageur, exsangue, ne savait plus quoi faire. Le logement espéré
ne marchait pas, un espoir d'évolution professionnelle avec
augmentation à la clé ne verrait jamais le jour (il y apprit entre
autre à cette occasion que sa propension à poser certaines
questions, à se focaliser sur la question du sens, ses exigences,
l'avait fait basculer pour son employeur dans le rang des emmerdeurs
et qu'à ce titre il n'avait plus rien à en attendre. Sans doute
avait-il des progrès à faire dans la manière d'exprimer les choses
tant dans le travail que dans son ex vie conjugale...)
Il
y eut donc ce soir où, à bout, en larmes et démuni comme un enfant
égaré, il enfourcha le Tambour-cheval pour un voyage qui se devait
d'être plus qu'un simple voyage : il devait sauver son âme et
l'empêcher de sombrer dans les abîmes du doute, de la désespérance
et de l'impuissance.
Peu
à peu, les voyages devenaient pour le Voyageur comme une vie
complémentaire et se peuplaient au fur et à mesure d'êtres qu'il
retrouvait régulièrement en fonction des besoins, des questions ou
de l'humeur de ceux-ci. Peu à peu aussi un bestiaire se constituait,
ainsi qu'une géographie avec des lieux plus fréquemment visités
que d'autres.
Il
avait appris à trouver dans ces voyages les réponses qu'il ne
parvenait pas à trouver seul. Et rien que cela, en soi, était
miraculeux.
Ainsi
le Voyageur comprit-il lors de ce voyage, que des signaux contraires
envoyés par la Vie peuvent être aussi des signes envoyés pour le
sauver ; simplement parce que ce n'était pas ce qu'il attendait
qui était bon pour lui ; et que cela un jour lui apparaîtra
comme tel.
Ainsi
se vit-il dire (et sur quel ton véhément !) que jamais plus sa Vie
ne connaîtrait une telle béance de possibles : il n'avait plus
de femme, plus de logement pérenne, plus de contraintes de lieux...
alors qu'il continuait de fonctionner comme si tout cela existaient
encore.
Il
y a un mur, lui a t-on dit, un mur contre toi, mais parce que tu n'es
pas à ta place. Tu ne fais pas ce qu'il y a à faire. Tu fais des
choses, mais pas les bonnes. Pauvre idiot ! Tu as besoin de
faire racine et de prendre racine en toi-même. Ce qui ne va pas en
ce sens est nul et non avenu. Avec zazen, avec le Tarot chamanique,
tu fais souche. Tu dois avoir tes propres racines, pas celles des
autres. Le temps est venu pour toi de travailler pour toi. Il faut
que tu vois clair en ce que tu veux vraiment. Jamais plus ta vie ne
sera ouverte à ce point-là. Alors que tout est possible, tu
continues de penser « petit », laborieux. Ouvre !
Agrandis ta vision ! Ce
n'est pas la Vie qui est contre toi, c'est toi qui est contre la Vie.
Apprends à faire les bons choix...
Et
puis, au cour de ses trois derniers voyages, était apparu Etty
(oui, Etty
Hillesum ;
celle dont le journal avait fait basculer sa vie, il y a environ huit
ans et dont il avait tant parlé dans ses blogs),
Elle
lui était apparue, telle qu'en elle-même, son visage si beau,
encore un peu poupin et qui ne serait jamais affiné par la maturité
de l'âge, sa jupe de laine épaisse, son pull en laine rêche et son
cœur aussi doux que de la soie. Et ce qu'elle lui avait dit, mon
dieu, ce qu'elle lui avait dit...
-
Je te parle d'au-delà des mondes. Dieu -je l'appelle comme ça- est
en toi... Tu as ouvert la porte sur l'immensité du sacré, ton cœur
et ton âme sont comme des coupes enfin prêtes à le recevoir. Ouvre
ton cœur ; notre cœur est le Graal et le Graal est l'amour.
L'amour de Dieu, de Bouddha, de la Vie...
Ce
qui est en cause, c'est ta foi. Moi, je ne l'ai pas perdue, même aux
pires moments. Prie ! Apprends à prier, laisse-toi tomber au
sol s'il le faut. Il faut que tu voies clair en toi-même. N'oublie
pas le Fil de la Merveille. Moi Etty, je te le dis, tu mérites
d'être aimé. Tu es aimé. La Vie t'aime. Les mauvais choix elle les
éloigne de toi, même de manière abrupte, violente, brutale ;
mais la Vie est comme ça. La Vie n'est pas là pour avoir de la
pitié. La Vie se sert juste elle-même. La Vie sert la Vie. La
profusion l'exubérance, la richesse du Faire, les essais, les
tentatives, l'énergie... La Vie maintenant te parle le langage de la
Vie. Avant, elle se taisait, elle était loin. Maintenant, elle te
parle son langage, et son langage c'est : elle aide ce qui
fonctionne comme elle. Ce qui est authentiquement et sincèrement
profond et juste. Ce qui est fait en toute congruence et légèreté,
en toute évidence. La Vie se nourrit de la Vie qu'elle produit. Si
tu ne produis pas de Vie, elle se désintéresse ; donc, cherche
à produire de la Vie ! Encore et encore et la Vie s'intéressera
à toi. Là, en ce moment, tu en produis de la Vie ! En nous
écoutant, tu en produis. Et moi Etty, je te le dis : je suis ta
sœur, ta sœur d'âme, ta sœur spirituelle et je serai toujours là
pour toi, pour toujours et à jamais. Je t'aiderai à faire souche et
à prendre racine et je t'accompagnerai toujours et encore...
Et
puis, lors de la première visite de Etty dans un des voyages du
Voyageur, il y eut cette vision :
Le
voyageur était dans une clairière, de nuit. Son corps était
translucide et juste délimité par une membrane transparente. Les
traits de son visage étaient d'une beauté parfaite, et à
l'intérieur de son corps, il n'y avait qu'un cœur d'or, comme en
feu ; et aux alentours, dans la clairière d'autres êtres comme
lui, se cherchant dans le silence de la nuit. Alors, la Grande déesse
de l'amour (on y voyait aussi ce cœur d'or brûlant à l'intérieur
d'elle-même) dit :
-
Je suis la déesse de l'amour, la déesse des Coupes du Tarot. Je
connais tous les secrets de l'amour. Installe-toi dans le champ de
l'amour. Laisse ton cœur briller tel une luciole. Dans cette
clairière-là, dans cette Clairière des Amours à Venir,
installe-toi et appelle. Appelle. Ton cœur brille, ton cœur brûle.
Tu as été entendu, quelqu'un va s'approcher.
Arrive
alors un vieil homme, l'Hermite, qui ajoute entre autres choses :
-
Tu es enfin arrivé dans la Clairière des Amours à Venir, avec ton
cœur qui brille dans la nuit. Tu es une « âme-luciole »,
tu éclaires le monde. Tu recherches d'autres âmes-lucioles ;
tes sœurs d'âme et de cœur, et tu les trouves. Et de toutes ces
âmes-lucioles, il y a une avec laquelle tu partageras quelque chose
d'immense, de grand et de beau. En attendant, ancre-toi en ta foi et
n'oublies pas que tu es arbre...
Et
puis, Etty est arrivée et a dit :
-
Prends mes mains, sens la foi et la confiance que je te donne. Nous
sommes deux âmes-lucioles, deux âmes-lucioles...
Etty
était là désormais ; elle et tant d'autres. Le Voyageur
savait qu'une part de lui était arrivée dans la Clairière des
amours à venir. Il savait qu'en tous les mondes, les âmes-lucioles
finissent toujours par se trouver. Il savait ce qu'il avait à faire.
Il remercia tout le monde, tout ceux qui étaient présents et dont
il n'a pas parlé ici, et il sut alors qu'il n'avait plus rien à
craindre. Etty était là...
05/09/2014
©
Irène Kung
La
journée avait été la plus rude depuis longtemps. Un moment de
relâchement sans doute, accentué par le fait qu’une séparation
implique une multitude de démarches administratives, comme autant de
fils à couper, renvoyant parfois le Voyageur à l’insupportable
blessure.
Au
soir venu, il avait enfourché son Tambour-cheval pour le Monde où
vivent Ceux qui aident. Il était monté en haut d’un arbre et une
sorte de Fée légère et malicieuse lui avait dit :
« -
Bonjour à toi. Je suis l’esprit de cet arbre, je suis l’esprit
des branches et des feuilles et c’est pour cela que les oiseaux
viennent y nicher. Sens le tronc contre ton dos, les branches contre
tes jambes, les racines tout en bas, le ciel tout en haut.
Il
faut que tu retrouves tes racines. Tu avais fait racine Celle partie
dans le Monde des Amours perdus. Tes racines c’était Elle et le
futur que tu pensais avoir avec elle. Cela et ce village de l’Aveyron
étaient ton terroir. Un terreau sur lequel tu pensais pousser et te
déployer. Tu n’as plus de terreau, tu es pour l’instant « hors
sol », et il faut que tu retrouves un terreau, un terroir, un
enracinement. Tu es blessé, perdu, déchiré, parce que tu n’as
pas encore trouvé un autre endroit, une autre place –géographique,
psychique, corporelle, spirituelle, affective- pour planter tes
racines. Elle était devenue ta « racine-maître » et de
ce fait, tu lui avais donné beaucoup trop de pouvoir.
En
quoi peux-tu prendre racine ? Tu peux prendre racine avec ton
corps, avec la méditation les exercices corporels ; sentir ton
ancrage dans le sol. Ton nouveau terreau c’est le chamanisme :
c’est là que tu dois t’ancrer. Le bouddhisme, le chamanisme, le
Tarot. On te l’a déjà dit : il faut que tu apprennes à
vivre en devenant ton propre terreau. Cela ne veut pas dire se couper
du monde, au contraire ! Cela signifie ne plus donner un tel
pouvoir à quelqu’un d’autre. Cela veut dire couper tous les
fils, et vous en aviez tellement !
Ancre
tes pieds dans le sol, partout et tout le temps, quand tu le peux,
parce que tu es un arbre : enracinement dans le sol, esprit dans
le ciel et les étoiles ; entre les deux, un lien, un tronc
immense qui va des racines à l’infini du ciel : ton corps. Il
faut que tu sentes ces énergies-là ! Pour un temps, tu n’as
plus de passé proche (trop douloureux) et tu n’as plus de futur
visible ; tu n’as que le Présent et il faut que tu apprennes
à t’y ancrer.
Ce
présent n’est ni bon, ni mauvais, ni positif, ni négatif :
il est. Si tu captes le présent sans t’y projeter, si tu es dans
la Présence, tu souffriras moins. Qu’y a t-il au-delà de ton
chagrin, de ta tristesse, de ton déracinement, de ton éviction ?
Qu’y a t-il ? Si tu retires cela, le présent est de même
nature que ce qu’il était avant et que ce qu’il sera plus tard.
Juste la Présence. C’est pour cela que tu te dois de méditer
encore en encore. La posture, rien que la posture ! Et le
tambour… La fin de cette histoire, aussi douloureuse soit-elle, est
le début d’une nouvelle page.
Pour
l’instant, tu dois apprendre à devenir ton propre terreau, ton
propre terroir. A ne plus jamais remettre ta vie entre les mains de
quelqu’un d’autre. Tu peux partager ta vie, mais tu ne dois plus
jamais remettre à un autre ce qui t’appartient en propre. Parce
que dès lors que cet autre s’éloigne, pour des raisons qui ne
peuvent que lui appartenir et qui, somme toute à bien y réfléchir,
ont peu à voir avec toi ; et tu te retrouverais à nouveau sans
ancre, sans centre, comme l’âme amputée d’une moitié. Il faut
que tu apprennes à cultiver ta complétude. Cet énorme part de ton
âme qui vient de t’être arrachée, elle n’était pas toi, elle
ne t’appartenait pas. Un jour sans doute, rencontreras-tu à
nouveau une autre âme avec laquelle faire voyage comme deux étoiles
se croisant dans l’infini du ciel. Fais en sorte alors que vos
racines s’entremêlent sans que jamais au grand jamais, aucun des
deux n’abandonnent les siennes.
Voilà,
tu peux rentrer maintenant, tu peux rentrer… »
Alors
le voyageur est reparti, a retrouvé d’autres guides et son jardin
sacré, puis le Tambour-cheval s’est tu.
Quelques
minutes plus tard, le téléphone sonnait et une amie lui offrait les
clés qui lui manquaient pour que ces paroles prennent tout leur sens
et viennent alors comme une formule magique et sacrée dissiper les
ombres pour un moment au moins … Danser avec les ombres…
Chevaucher la lumière ; le Voyageur était en train
d’apprendre… Quel qu’en soit le poids de souffrance à payer.
31/08/2014
Ainsi
donc, la Vie, par un mouvement de boomerang dont elle a le secret,
avait renvoyé pour un temps le Voyageur vivre là où il vivait
avant son dernier voyage d'Amour ; comme un retour en arrière
de quatre années très exactement.
Pendant
ces années, il y a eu l'Amour -le plus beau de sa vie-, de la
tendresse, des rencontres, une nouvelle vie, des musiques, des
spectacles, des livres lus, la connexion -toujours, avec le Dharma,
et puis la rencontre avec le monde des Esprits. Il y a eu la rupture,
l'extinction d'un amour dans le cœur de celle tant aimée, une
nouvelle vie à commencer dans les larmes, l'incompréhension et la
désolation.
Alors,
cet après midi, le Voyageur est allé dans ce parc à proximité
qu'il aimait tant. Il est allé sous ce gigantesque massif de hêtres
pourpres, une cathédrale végétale ; son arbre-Maître. Des
arbres qui au fil des temps étaient devenus un de ses lieux de paix,
qui lui avaient soufflé dans le cœur un spectacle qui deviendrait
un livre, qui lui avaient tant appris, et qui avaient été, sans
qu'il ne le sache vraiment, une première porte d'entrée vers le
monde chamanique des esprits.
Oui,
le Voyageur y est allé.
La
veille, il avait fait un voyage au cours duquel un de ces guides lui
avait murmuré d'une voix infiniment douce :
-
Il faut que tu retrouves la Joie dans ton cœur ; ne la laisse
pas s'éteindre. La Vie te sourira si tu as la joie en ton cœur. La
joie appelle la joie. La Vie est joie... Je vais te demander quelque
chose de très difficile, je vais te demander d'arrêter un moment de
ressasser, de réfléchir, de rabâcher ; je vais te demander de te
projeter dans le futur : qu'est-ce que tu voudrais, là tout de
suite ?
Et
le Voyageur avait répondu en commençant chaque phrase par :
« je veux ». Et son guide lui avait répondu :
-
Oui, c'est bien. Tu as dit : « je veux », mais
maintenant recommence mais en disant : « je demande ».
Et le Voyageur a recommencé en débutant chaque phrase par :
« je demande ». Et le guide, entre autre chose, a
ajouté :
-
N'oublie pas : le langage de la Vie est l'Amour. Si tu veux que
la Vie t’exhausse, parle son langage. Et la langue de la Vie est la
Joie. Son langage est la foi. Essaie d'être léger. Sois léger !
Tu as des amis : ils t'aiment. Remercie la Vie de cet amour
qu'il te donne. Remercie la Vie de cette épreuve que tu dois
traverser. La Vie essaie et tente toujours, encore et encore, alors,
fais pareil. Ne sois pas limité par tes propres croyances et par tes
propres peurs. Nous t'aimons. Ah oui, encore une dernière chose :
il faut que tu apprennes à prier. C'est important de prier... »
Le
Voyageur est donc entré dans le grand périmètre des hêtres
pourpres. Comme il l'avait appris, il y est entré tout doucement,
s'est approché d'un arbre, lui a demandé de l'accueillir, a senti
son énergie, son acquiescement, a posé ses mains sur son tronc.
Pour
un temps alors, il fut, racines, tronc, ciel, étoiles. Tous étaient
là, ses guides et ses protecteurs. Et le vent s'est mis à souffler.
Le Voyageur est resté là longtemps dans ce voyage immobile. Il a
senti l'énergie de l'arbre qui le lavait de l'intérieur. Et puis,
il a remercié l'arbre, s'est reculé et a posé son dos contre son
écorce ; et alors, une intuition fulgurante, un ordre auquel il
ne pouvait désobéir, une évidence, se sont imposés. Il s'est
redressé, s'apprêtant à faire un pas en direction du grand cercle
formé par les arbres, quand soudain des mots lui sont venus. Des
mots, comme soufflés et dictés, qu'il a prononcés à haute voix.
C'était un pacte, une promesse, un engagement auxquels il ne saurait
plus jamais se dérober quelques soient les difficultés des
promesses à tenir. Une promesse au monde. Et ces mots qu'il a alors
prononcés, dirent ceci :
« A
la seconde où je fais le pas, je décide que ce pas est le premier
pas de ma nouvelle vie. Je suis dorénavant prêt à tous les
miracles. La Vie a besoin d'être servie, a besoin d'être honorée.
La Vie est joie. La Vie a besoin qu'on lui parle Joie si l'on
souhaite être entendu. Je suis là, sous ce magnifique massif de
hêtres pourpres, mon arbre-Maître, mon lieu de paix et
d'inspiration. Je leur ai demandé et ils m'ont répondu : là,
aujourd'hui, tu fais le premier pas de ta nouvelle vie.
Aujourd'hui,
je suis prêt à accepter tous les miracles. Je fais cette promesse
de servir la Joie, de servir la Vie. Le vent a soufflé, le vent m'a
nettoyé de l'intérieur, j'ai des racines, j'ai le ciel étoilé à
l'infini, sous ce massif d'arbres qui me parlent. J'ai des guides,
des esprits autour de moi ; je les sens, des animaux
protecteurs : ils sont tous là. Aujourd'hui, je fais le premier
pas de ma nouvelle vie. C'est une promesse que je me fais à
moi-même, c'est une promesse que je fais au monde : être
heureux, servir la Vie, servir la Joie, être dans l'accomplissement
le plus sincère et le plus profond, honorer mes guides, honorer les
esprits, honorer les arbres, honorer tous ceux qui m'enseignent et me
protègent. Aujourd'hui, je fais le premier pas de ma nouvelle vie et
c'est un serment. »
Alors
seulement, le Voyageur a fait le premier pas et s'est avancé
jusqu'au centre du cercle formé par les arbres. Il est resté là,
debout et immobile, sentant le vent souffler, agitant les branches et
lavant son âme, puis il a fait un grand cercle de pas autour du
massif d'arbres, le cœur reconnaissant, en voie de guérison, et
gonflé des promesses à venir.
Quelques
secondes plus tard, alors qu'il s'éloignait, un mail lui est
parvenu : une proposition de location d'une maison. Et quelques
minutes plus tard, pour la première fois depuis trois semaines, en
garant sa voiture, il réussit son créneau du premier coup... Car il
n'y a pas de petites ou de grandes victoires, il n'y a que des
victoires.
Quelques
secondes d'éternité sur les premiers pas de sa nouvelle vie. Et
tout autour de lui, des présences tant aimantes et un cœur qui
apprend à guérir...
03/08/2014
Tous,
nous avons vécu de ces moments où la Vie semble chanter, où nous
nous sentons entourés de présences aidantes et réconfortantes, où
nous nous sentons -en un instant parfois fugace- soudain pleinement
présents au monde et à nous-mêmes. Que notre espace intérieur
nous semble vaste alors ! Et que la résonance avec le monde
nous semble pleinement épanouie !
Que
nous songions, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, à ce que
nous sommes en train de vivre et la magie de l'instant disparaît
comme bulle de savon dans le vent.
Que
nous repensions soudain à ce que nous avons à faire, et à nouveau,
l'espace se rétrécit, notre cage thoracique se rétracte, notre
corps se tasse, notre cœur se referme et notre esprit se tend, à
nouveau possédé par cette transe du quotidien qui recouvre d'un
voile cette magie fugace qui n'a fait que nous effleurer.
Cette
lumière, cette vibration-là, ces présences alentours qui nous
entourent, cette espace immense qui semble nous ouvrir du dedans,
dorénavant, nous l’appellerons : la Source. Nous
l'appellerons ainsi, car ces expériences qui parfois nous traversent
sont la source même de notre humanité et le cœur de ce qui vit en
ce monde. Certains l'appellent Dieu, d'autres connexion aux Esprits,
d'autres la Vie, d'autres la Lumière, l’Éveil, la Conscience
pure... peu importe... Chacun y met ses mots et ses explications ;
quoiqu'il en soit, le monde est vaste, et, comme l'écrivait avec
sagesse Marguerite Yourcenar : « « Il
y a plus d’une sagesse, et toutes sont nécessaires au monde ; il
n’est pas mauvais qu’elles alternent. »...
Reste
qu'il apparaît judicieux que nous nous posions la question de savoir
comment ne pas perdre cette connexion avec la Source qui semble
parfois si capricieuse et si fragile.
La
Source, pour se manifester à toi, a besoin de deux choses pas si
différentes l'une de l'autre : ta vigilance, et ta présence.
Pour
la vigilance, les chamanes disent que nous avons deux âmes :
une qui est celle à laquelle nous nous référons tout le temps, qui
est fixe en nous et ne bouge pas ; et une autre qui a la
capacité de voyager entre les mondes. C'est cette âme-là qui est
la à-même de se connecter à la Source. Alors, quoi que tu fasses,
quel que soit l'endroit où tu es, essaie de garder éveillée cette
âme-là. Comme une sorte de gardien vigilant qui surveillerait
l'horizon pendant que les troupes s'activent à leurs occupations :
travailler, conduire, décider, réfléchir, se disputer, avoir faim,
avoir envie de faire l'amour, de faire la guerre... Ainsi, sitôt que
tu sentiras le champ de ton âme se rétrécir, il te suffiras alors
de te brancher sur cette « part vigilante et éveillée »
pour retrouver un peu d'espace. Ne jamais se crisper totalement sur
ce que l'on est en train de faire... Garder toujours un espace
vierge, vacant, disponible...
Pour
la Présence, se dire que la Source, pour se manifester, a besoin de
la transcendance de ta Présence et de ta verticalité pleine et
entière. Qu'est-ce à dire ? Cela veut dire que la Source, bien
que présente en permanence, ne peut se manifester à toi qu'à la
condition que ton esprit soit pleinement là, ici et maintenant.
Qu'il soit tendu, accaparé, crispé (ce qui est malheureusement le
cas presque tout le temps) et la Source n'est plus accessible à ta
conscience. La Source ne peut être là que dans le Présent. Et pour
que le Présent soit là, il faut que ton esprit soit stable ; et
pour que ton esprit soit stable, il faut que ton corps et la
conscience que tu en as soient stables. D'où la formidable
efficience des techniques de méditation. C'est pour cela qu'il est
question plus haut de verticalité . c'est en référence à la
méditation. La conscience de ton corps, la stabilité de sa posture,
l'observation de ton esprit et de ce qui s'y passe, sont autant
d'outils qui te permettent de retrouver de ta Présence au monde afin
de faire en sorte que la Source se manifeste. Et plus tu es proche de
la Source, plus tu es épanoui et libre...
A
toi de trouver les exercices qui te conviennent afin de travailler
les deux. Et surtout, ne confonds pas la « pleine conscience »
avec le fait d'être obnubilé par la tâche que tu es en train
d'accomplir. Dans le premier cas, ton esprit vit et respire, dans le
deuxième il est possédé par la tâche que tu es en train de faire.
La Présence n'est pas accaparement ; elle en est l'inverse.
Maintenir
en soi, quoi que nous fassions, une vigilance attentive à la
présence de la Source et une conscience pleine et entière de ce que
nous sommes en train de vivre sont deux facettes qui semblent
faussement contradictoires alors qu'elles se complètent.
Dans
quel position était ton corps pendant que tu lisais ce texte ?
Vers quelles contrées ton esprit s'est-il mis à vagabonder ?
Ta respiration était-elle bloquée ou au contraire ta cage
thoracique était-elle ouverte et ample ? Y avait-il en toi un
espace libre de réception et d'attention à la Source ?
Je
te laisse bien sûr répondre à ces questions et te souhaite tous
les enchantements...
26/06/2014
"Tree
of Jesse" - The Salzsburg Missal
Dans
la pratique chamanique, il existe un type d’intervention de soin
généralement dénommé « recouvrement d’âme ».
Ce
soin (ou plus justement cette « réparation ») part du
principe qu’à l’occasion de divers traumatismes (deuil,
opération, stress post-traumatique, fausse couche, séparation…)
des morceaux d’âme (« âme » au sens de notre essence
vitale) quittent la personne souffrante pour aller se protéger dans
la réalité « non ordinaire ». Le rôle du chamane
intervenant consistant alors à aller rechercher ces morceaux d’âmes
perdus pour les réintégrer dans la personne et rétablir son
intégrité.
Cette
« perte d’âme’ », et le morcellement intérieur qui
s’en suit, sont considérés comme représentatifs des troubles
majeurs les plus fréquents. En psychiatrie on appelle ce type de
symptôme une dissociation, l’optique freudienne disant que cette
partie de la psyché inaccessible à la conscience a été repoussée
dans l’inconscient individuel (là, je cite un psychiatre).
Les
chamanes sont donc de grands réparateurs d’âmes, et peu importe
ce que l’on en pense, l’important est que ça marche, et… ça
marche !
Le
plus troublant, est que les symptômes de cette perte d’âme sont
décrits par les chamanes comme essentiellement : « le
fait d’être insatisfait, de consommer aveuglément pour chercher
un remplir un vide ». Avec des mots plus occidentaux, des
symptômes de dépression chronique, de sentiment de faiblesse et de
disharmonie, d’insatisfaction chronique, de vulnérabilité
physique -entre autre face aux maladies virales- de sentiment de vide
existentiel, d’ennui, d’impression de vivre en dehors de son
corps physique, de difficulté à se concentrer, de vie émotionnelle
émoussée, d’impossibilité de se rappeler ses rêves,
d’addictions diverses… (Liste proposée par le chamane Laurent
Huguelit in « Le Chamanisme » par Audrey Mouge - éditions
de la Martinière). C’est-à-dire, très exactement, les
caractéristiques les plus fréquentes de notre époque et de notre
civilisation !
Dire
que nous vivons dans une société qui a perdu son âme dès lors
parait tout à fait justifié… Etant à noter qu’en général,
après un recouvrement d’âme, le patient va dans sa vie vouloir
faire des choses nouvelles, expérimenter, ne plus supporter
certaines choses qu’il faisait avant par ennui ou obligation,
vouloir vivre de nouvelles aventures, être plus exigeant quant à la
question de son accomplissement, faire preuve d’une énergie qu’il
ne se connaissait pas… En un mot, faire preuve d’une vitalité
qu’il avait perdue. Normal : son âme, reconstituée en partie
ou en totalité, a besoin d’être nourrie et exige que l’on
s’occupe d’elle !
Il
y a peu, j’aurais écrit tout cela sous forme de métaphore. J’ai
appris depuis peu que ce n’était plus nécessaire. Oui, nous
vivons une période qui a perdu son âme, et nous en sommes tous
atteints. Le paradis perdu, ce sentiment si fréquemment ressenti,
étant tout simplement cette nostalgie de l’âme entière, et du
sentiment d’intégrité qu’elle procure et de parfaite osmose
avec le monde.
Nous
avons l’impérieuse nécessité de retrouver en nous la source
perdue pour reconstituer notre énergie psychique altérée, épuisée,
exsangue, apeurée… Notre âme est malade à force d’être niée,
reniée, éclatée, mal nourrie…
Dans
les derniers mois de sa vie, Pina Bausch disait ceci :
« Longtemps, j'ai pensé que le rôle de l'artiste était de
secouer le public. Aujourd'hui, je veux lui offrir sur scène ce que
le monde, devenu trop dur, ne lui donne plus : des moments d'amour
pur." Et vois-tu, si je te parle de ça, c’est parce que ces
derniers jours une compréhension m’est montée avec une évidence
détonante :
les artistes sont eux aussi des réparateurs d’âmes.
L’art a aussi pour fonction de nous aider à retrouver les morceaux
d’âme que nous avons perdus, pourquoi autrement devant un
spectacle fort ce sentiment de plénitude et de renouvellement ?
En
tant que conteur du merveilleux, j’ai toujours dit que les contes
parlaient le langage de l’âme, et qu’à ce titre, ils
réveillaient en nous des zones endormies en faisant remonter à
notre conscience ces bribes vitales que nous avons égarées.
Plus
globalement, l’artiste se doit d’apporter ce qui manque à son
époque. En période de dictature il apportera évidemment quelque
chose de différent et il importe donc que celui-ci ne se trompe pas
sur le constat… Il peut aussi apporter ce que l’économie
marchande et la doxa politique attendent de lui ; il fera
parfois du bien, il fera sans doute sourire, mais plus rarement
saura-t-il réparer ce qui, ontologiquement, a été défait. Nous
avons besoin de réparateurs d’âmes, pas d’attractionnistes !
Tous
les artistes ne sont pas porteurs de cette puissance-là. Trop
souvent, ils ne font que projeter sur le monde leurs propres ombres ;
et il est certain que parfois cela peut-être utile ; mais je
parle dorénavant d’autre chose : je parle de l’âme et de
l’esprit et c’est un autre paradigme… Ce qu’il nous revient
désormais c’est de faire chanter les âmes avec le monde.
Notre
monde a vitalement besoin d’être soigné. Nos âmes en ont besoin,
impérativement. Hier à la radio un homme était interrogé sur un
rapport qu’il venait de remettre visant à évaluer ce que serait
la France dans dix ans. Il est économiste et ne parlait pour ainsi
dire que ça. Penser que le devenir d’un pays à 10 ans ne serait
qu’une question d’économie et de mode de gouvernance politique,
n’est-ce pas là le symptôme d’une folie aveugle ?
Alors
oui, j’avoue, je prends le maquis. Notre époque regorge d’experts
en tout genre qui l’asphyxient de certitudes objectivantes et
rabâchent les mêmes idées sur la croissance et l’économie de
marché ; alors que pendant ce temps, les artistes sont mis à
mal, ceux qui pensent peu entendues, et ceux qui pourraient vraiment
apporter quelque chose de nouveau considérés comme de doux rêveurs
un tantinet obscurantistes.
La
seule aventure qui vaille est celle de l’âme et de l’esprit. La
seule question qui vaille : « qu’as-tu fais dans ta vie
de l’âme et du monde qui t’ont été confiés ? ». Le
seul bilan qui compte : « as-tu été aimé et as-tu bien
aimé ? ». Et en tant qu’artiste après un spectacle :
« qu’as-tu fais des âmes qui t’ont offert leurs
présences ? ». Pour le reste, ma foi, pour le reste…
J’ai passé l’essentiel de ma vie dans ce reste-là ; il ne
me parait pas déraisonnable dorénavant d’aller voir plus loin,
laissant à d’autres les clés de la maison et m’aventurant vers
des rivages tout autres… Le propre des âmes entières étant
l’enchantement, j’ai justement commencé à prendre des cours de
chant. Et quand la voix chante, le monde chante aussi, n’est-ce
pas ?…
J’ai
toujours pensé, au risque du manichéisme, que le devenir du monde
reposait sur des forces antagonistes et que tout moine en prière,
tout acte de compassion, toute émotion belle et sincère, toute
relation pleine et entière avec le monde, tout acte visant à nous
réunir au monde, contribuaient, même de manière infime, à changer
la résonance du monde et à en repousser les remugles nauséabonds
et prédateurs… Peut-être qu’entre le renouveau des pratiques
méditatives bouddhistes, toutes ces recherches extraordinaires des
neurosciences et de la physique quantique, cette prise de conscience
sur notre interdépendance au vivant, ce renouveau des pratiques
chamaniques adaptées à notre époque et à notre civilisation…
peut-être, assistons-nous à un début de recouvrement d’âme à
l’échelle planétaire… Va savoir… En tout cas, je trouve cette
vision (au sens premier du terme) plus jouissive que ce monsieur qui
nous expliquait ce que serait la France dans dix ans en nous parlant
uniquement de PIB…
11/06/2014
Angkor...
"Nous
sommes tous des caméléons" se disait-il souvent. Nous nous
adaptons pour nous faire adopter, pour survivre, pour s'en tirer sans
trop de mal...
Nous
avons intérieurement à notre disposition une multitude de
personnages ressources que nous allons chercher autant que de besoin.
Par
exemple en cas d'annulation d'un train que nous devons prendre :
Le
rationnel : C'est certes embêtant, mais il faut comprendre que si la
rame était défectueuse, il est préférable de ne pas la faire
rouler.
Le
politique : putain de politique libérale ! Ils n'ont qu'à en mettre
du personnel au lieu de mettre à bas les services publics !
Le
sage : impermanence, impermanence : voici une leçon que m'offre la
vie, je dois apprendre à l'accepter et à profiter de cette occasion
pour parfaire mon esprit.
Le
salarié culpabilisé : et merde, je vais arriver en retard au
boulot, ça la fout mal, déjà hier, je ne me suis pas levé et je
leur ai dis que c'était à cause d'un problème de métro.
Le
dragueur : tiens, elle est jolie la femme à côté de moi...
Le
positiviste : bon, ce n'est qu'une annulation, heureusement, ce
n'est pas un accident !
Le
poète : "au dessus du quai de la gare, un nuage s'évapore"
Etc...
Nous
adoptons ces personnages d'adaptation sans même nous en rendre en
compte, mais finalement, y a t-il un "vrai moi" ? Quel est
celui qui réagit et que je suis vraiment ?
Cette
question le taraudait -lui qui depuis l'enfance était passé maître
dans l'art de se mettre "à la place de" et avait multiplié
à l'infini les rôles intérieurs de référence-, tant et si bien,
qu'un jour, il s'était dit qu'il était temps de le trouver vraiment
ce "vrai moi".
Le
chercher l'avait obligé à poser la question de comment le
reconnaître s'il venait un jour à le rencontrer. Parce qu'il
s'était dit que ce ne serait pas marqué sur son visage : "coucou,
je suis ton vrai moi" ! Il avait fini par se dire que ce devait
être le personnage par lequel il ne jouait plus, dans lequel il se
sentait intrinsèquement sincère et entier, et surtout celui dans
lequel il se sentirait non seulement le plus juste, mais aussi le
plus accompli, le plus entier; le plus plein.
Un
jour, le conteur en lui avait compris que le public l'écoutait de
l'endroit d'où il contait, et cela avait été pour lui une grande
leçon. Car au fur et à mesure qu'il expérimentait la chose, il se
rendait bien compte qu'il contait souvent du même endroit, et que
lorsqu'il était "là", le public partait avec lui bien
plus profond qu'habituellement. Ce qui au passage lui avait confirmé
que ce qu'il recherchait n'était pas tant un personnage qu'un lieu.
Déplacer
sa recherche du théâtre à la géographie -fut-elle intérieure-
fut pour lui comme se baigner dans un source jaillissante. Et
lorsqu'il comprit et expérimenta que ces royaumes intérieurs dont
il parlait depuis des années n'étaient pas qu'intérieurs mais
existaient vraiment -à leur manière", sa vie prit alors un
nouveau tournant.
Dans
ces royaumes-là, il se mit donc en quête du lieu. Il chercha
longtemps partout ou presque, jusqu'à ce qu'un jour une simple
petite grenouille ne lui indique le chemin d'une simple cabane de
bois au fond d'une forêt. Il était conteur, et après tout, il
était normal que les grenouilles viennent le secourir !
D'extérieur,
la cabane ne payait pas de mine, mais que l'y entrât et l'air
lui-même semblait différent, comme si les particules aériennes
brillaient de l'intérieur, irradiant une douce lumière de vitrail.
Il y avait là un vieil homme, un sage, un maître . Il enseignait à
des enfants perdus et abandonnés qu'il avait recueillis dans la
forêt. Il y avait en lui du Saint François, mais aussi de ces
moines bouddhistes des forêts ou de ces poètes errants du haïku...
Ce
jour-là, le voyageur sut alors qu'il était arrivé à la fin de
quelque chose et par voie de conséquence au début d'autre chose.
Longtemps, le vieil homme lui parla : du sacré, des arbres, de la
vie, de la Parole... Et puis il lui dit ceci :
"Ainsi,
tu voudrais un conseil n'est-ce pas ? Et bien voilà : toi et moi
sommes pareils. Poli ton cœur, poli tes mots. Apprends à parler de
cette cabane dans laquelle je suis. C'est de là que tu dois parler ;
de cette cabane simple dans un bois. Tu dois parler de cet endroit-là
! Géographiquement, métaphysiquement, poétiquement. C'est là que
tu seras juste.
Avant
de repartir dans le monde des enjeux sociaux, dans le monde de la vie
de tous les jours, avant de te faire des rêves plus grands que toi,
n'oublie pas cela : tu doit parler et agir de cette cabane où je
t'enseigne aujourd'hui, avec cette simplicité, cette humilité,
cette bonté-là. Et avec aussi cette connexion au végétal, à la
terre, au ciel, aux étoiles. Ton centre, le cœur de ton royaume,
c'est ici. Innombrables sont les hommes qui ne trouvent jamais le
leur. Toi, tu l'as trouvé. N'en démérite pas, c'est pour toi un
nouveau chemin qui commence. Va maintenant, va... Tu n'auras plus
peur, je te le dis".
Le
voyageur le salua puis repartit, la grenouille l'attendait. Et sur le
chemin du retour, en lui, la conviction absolue d'être dépositaire
dorénavant d'un trésor, d'une source à l'énergie inépuisable :
la clé et le lieu emblématique de son royaume, là où à chaque
passage il renaîtrait à lui-même et au monde. Et puis aussi, cet
appel insistant : celui de ne pas faillir à sa mission : parler et
agir de là et uniquement de là... Comme une morale exigeante, une
vigilance constante, un travail de tous les instants, une obligation
de sincérité, un antidote à l’orgueil, un entrainement à la
bienveillance, un entrainement à faire taire en lui tant de voix
discordantes...
15/05/2014
Sylvain
Meyer : L'aimant d'érable
Hier,
la voix d’une grand-mère, tutélaire et très ancienne, m’a
dit :
-
Ne pose pas ta colère, pose ton projet !
Elle
m’a dit que depuis toujours, ma mission était de guérir le monde.
Et en effet, très jeune enfant, c’est ce que je faisais en
espérant réconcilier mes parents qui se déchiraient. Plus tard,
j’ai toujours voulu réconcilier les inconciliables (comme
l’artistique et l’administration par exemple !) et toujours
exercé des métiers à but d’épanouissement : l’animation avec
les enfants (en des temps où l’on pouvait encore faire des choses
folles sans passer sous les fourches caudines d’une réglementation
démentielle), la musique bien sûr, le conte dont la Parole et un
soin holistique, le Tarot, et même mon métier de directeur
culturel, puisqu’intrinsèquement, la croyance me guidant était
que l’art pouvait changer le monde et réparer en chacun ce qui
était cassé.
Oui,
je suis donc guérisseur par mission. Et je serai sans doute
guérisseur dans mon futur métier. En quoi ? Comment ?
Dans quelle discipline ? Je ne le sais pas encore.
Ce
qui est certain, c’est qu’une partie de ma souffrance actuelle,
vient du fait que nous sommes dans une période où l’art n’est
plus ni attendu, ni porté. Nous sommes dans une période oublieuse
des choses de l’âme et du cœur, trop occupée qu’elle est à
produire toujours plus d’argent et de biens pour les uns ; à
tenter de survivre pour les autres. Alors ma mission de
« guérisseur » ne pouvant trouver à s’exercer, je
perds vertigineusement de mon énergie intérieure. Mais peu
importe : il est des milliers de moyens de guérir et de
recoudre. A moi de trouver le mien, en sachant qu’il sera dès lors
centré sur la personne, individuellement.
Qui
nous dicte nos missions ? Non pas celles résultant d’un
conditionnement social et familial, mais celles athanors de notre
accomplissement le plus haut. Celles qui nous permettent d’accomplir
ce qu’il ne paraît pas déraisonnable de dénommer : « notre
destinée ». C’est-à-dire, quelque chose qui est de l’ordre
du destin, du choix, des empreintes déposées en nous par nos
familles, nos origines sociales, notre culture d’origine, de notre
identité patiemment construite, et de la matrice la plus mystérieuse
qui nous agit, même et surtout, à notre insu. Nous sommes enfants
de nos parents, de nos familles, de nous-mêmes, de nos amis, de nos
enfants et des étoiles. Nous sommes un croisement entre terre et
ciel traversé de toute la tendresse humaine et de toute la violence
du monde. Nous sommes un sublime inaccompli qui ne demande qu’à
être révélé. Est-il si désespéré que ça de dire qu’une
traversée humaine ne pourrait suffire ?
Nos
missions les plus hautes nous sont dictées par un mystère tout
autant que nous les décidons. Nous sommes un gigantesque iceberg
dont nous ne conscientisons qu'un glaçon à peine suffisant pour
rafraîchir un verre. Un arbre sans conscience de ses racines. Une
vague dont nous ne percevons que l’écume. Et à la pelle de l’âme
nous déblayons jusqu’à la lumière. Atomes par atomes s’il le
faut. Et parfois, de grands dévoilements sur l’infini qui nous
lavent le cœur et nous élargissent l’âme.
Cette
nuit, un rêve m’a soufflé le fait qu’il fallait que j’arrête
de porter ce qui ne me revient pas. Il y avait aussi une créature
imaginaire comme une énorme chenille translucide aux moignons
latéraux, telle une chrysalide à la puissance colossale pas encore
éclose.
Et
ce matin, une prière qui m’est venue :
« Que
cette journée ait la légèreté du chant du merle à la levée du
jour ».
Les
paroles ô combien éclairantes de la vieille femme veillant sur moi
de là où elle est, un rêve qui insuffle un souffle nouveau, une
prière déposée sur les lèvres au réveil. Cadeau, cadeau, cadeau.
Et cette amie qui m’écrit pendant l’écriture de ces mots pour
me poser une question dont la réponse est dans ce texte. Cadeau. Et
cette énergie retrouvée, cette colère retombée. Cadeau encore.
Que veux-tu, la gratitude est une porte d’entrée sur l’infini.
Et
pour ne pas s’illusionner non plus, cette phrase de Ram Dass postée
ce matin par un ami : « Si tu crois avoir atteint
l’illumination, va passer une semaine dans ta famille » !