jeudi 22 mars 2018

Quelque chose qui se trame...




Il y a peu, le Voyageur avait eu l’occasion d’approcher un grand métier à tisser et cela l’avait fasciné. Il y avait le vocabulaire bien sûr : fils de chaîne, ensouples, cadres, lisses, lames, navettes, fils de trame, bobines, battants, peignes, contrepoids… Il y avait aussi cette extraordinaire mécanique en trois dimensions organisant des croisements éminemment complexes pour aboutir in fine à faire d’un vide au départ, un objet solide puissamment assemblé. Pris séparément chaque fil n’est rien , tout juste bon à être emporté par le vent ou à se briser à la moindre tension. C’est parce qu’il est filé, relié et entrecroisé à d’autres qu’il devient matière solide et durable. Il n’était que d’une couleur, il devient chatoiement une fois tissé.

Ce métier à tisser est pour le Voyageur un objet monde, une structure multidimensionnelle, dans laquelle il serait possible de faire tenir le monde. Car le monde après tout n’est que tissage de sens et d’informations. Aucune chose n’existe strictement que par elle-même. Toute chose et reliée à des milliers d’autres. Chaque être, chaque chose est une sorte de fibre minuscule, elle-même filée à d’autres fibres, elles-mêmes tissées avec d’autres. Et ce tissage pour -partie jeu du hasard, pour partie choix, pour partie destinée- créé des motifs, des tissus que nous revêtons et dans lesquels nous vivons. Parfois ils sont beaux et chatoyants, parfois la trame se perd, les fils se distendent, la maille s’échappe, et alors nos vies se déchirent comme vieux chiffons usés.

De ces trames qui nous relient et nous constituent, nous en connaissons quelques unes et tant il est bon souvent de demeurer dans le déjà connu, nous pourrions passer notre vie à en visiter toujours les mêmes ! Parfois, un coup du sort, un inattendu nous propulse dans une autre trame et qu’il est dur parfois de renouer solidement les fils ! Et puis, il y a toutes les trames que nous ne connaissons pas. Comme si nous étions physiquement dans un minuscule espace d’un immense et prodigieux métier à tisser dont nous ne connaîtrions qu’une toute petite partie. Et ne voir qu’un seul fil d’une maille ne signifie pas que des milliards de motifs n’existent pas par ailleurs et que nous ne soyons pas reliés à eux par des trames, des fils, des connexions que nous ignorons. L’univers est une toile infinie et multidimensionnelle dont nous n’habitons consciemment qu’une infime partie.

Ainsi sommes-nous le plus souvent plus petits, plus fragiles, plus réduits, que ce que notre esprit est capable d’appréhender et de comprendre. Nous pouvons imaginer habiter les plus mirifiques tapis, nous agissons et vivons réduits à la simple et fragile fibre que nous sommes sans toujours parvenir à nous revêtir de la solidité du tissage auquel nous appartenons. C’est une grande question que celle-ci. Ainsi, trop souvent, émerveillés de la luxuriante trame dont nous avons l’intuition, nous espérons vivre à sa hauteur et n’y parvenant pas nous nous décevons. Alors, qu’au-delà des mots et des compréhensions, peut-être que la seule chose qui nous revienne serait d’accepter de n’être que cette simple et fragile fibre qui ne trouve sa force et tout son potentiel que dans la qualité et la nature du maillage dans lequel elle s’inscrit.

Grâce à la pratique sur la Voie du tambour, le Voyageur avait profondément compris que d’autres trames que celles que nous rencontrons dans ce que nous percevons ordinairement existaient et que depuis toujours les hommes ont cherché à se tisser avec elles. Il en va de ces trames non perçues comme des différentes fréquences de la lumière : nous percevons avec nos sens une partie du spectre mais ne percevant pas le reste nous avons longtemps pensé que ces autres fréquences n’existaient pas. Ainsi, ne percevons-nous pas la lumière infrarouge et pourtant elle existe bel et bien ! Il a fallu pour la « voir » que nous façonnions des machines capables de capter ce que nos sens ne savent pas faire. Et ainsi, l’humanité a t-elle pu grâce à elles découvrir des pans entiers de réalité que nos ancêtres n’auraient pas soupçonnés.

Mais au-delà des machines et des protocoles scientifiques, la Voyageur avait appris qu’à la condition d’un entraînement spécifique et de la mobilisation de quelques capacités dont dispose tout le monde ou presque à des degrés divers, il est possible d’entraîner son esprit à se connecter à certaines de ces trames invisibles, et ainsi, d’avoir accès à des champs d’informations desquels nous sommes coupés ordinairement. En quelque sorte à voyager dans le métier à tisser pour aller à la rencontre de trames, de croisements, éloignés de nos contrées habituelles. De nous inscrire dans un nouveau tissage et ainsi de créer de nouveaux motifs. Pour le Voyageur, cela est passé par l’utilisation du tambour, mais il y a bien sûr bien d’autres méthodes ! Comme si notre cerveau était programmé pour se connecter à des fréquences diverses et qu’à l’instar d’un poste de radio nous captions divers programmes en fonction du réglage choisi.

Ainsi avons-nous la fragilité d’un minuscule et simple fil et la solidité et l’immensité d’une trame sans fin à laquelle nous appartenons et dont nous sommes partie prenante. Un peu comme comme ces particules qui, selon qu’on les observe ou pas sont ondes et / ou particules ; nous sommes « locaux », physiquement incarnés et « globaux », non localisés, conscience au potentiel infini, inscrits dans un tout qui nous échappe le plus souvent.

Mais alors si une part de nous n’est pas assujettie à rester dans ce petit espace de la Grande Toile, quelle est la part de nous qui s’en émancipe ? Le Voyageur aime à penser que nos âmes sont les voyageuses qui passent d’une trame à une autre, d’un tissage à un autre. Étymologiquement, « âme » signifie « souffle », « ce qui souffle ». Nos âmes sont comme ce vent qui fait bouger les draps séchant sur les fils les après midi d’été. Là où il y a de l’âme, il y a du souffle et là où il y a de l’âme, « il y a de la joie » me disait une amie. En hébreu, le mot âme se dit « Nèphèsh » qui vient vraisemblablement d'une racine qui signifie «respirer». Dans un sens littéral, « Nèphèsh » pourrait être rendu par « un respirant » Ainsi donc l’âme serait ce qui respire en nous, le souffle qui nous anime et qui fait que nous sommes vivants et reliés au monde. L’âme est cette part de nous qui danse avec les étoiles et qui a la capacité de voyager de trame en trame se tissant à d’autres motifs, à d’autres âmes, à d’autres fils… Notre âme, éternelle voyageuse, notre soufflet de forge, notre impérieux élan, cette partie de nous qui sait mieux que nous, et qu’il est possible, -maintenant le Voyageur le sait-, d’aller rencontrer au sens premier du terme dans un certain espace de la trame… Mais ceci est une autre histoire que le Voyageur compte bien raconter le jour où il aura trouver les mots qui conviendront…

Et pour finir ce texte, une anecdote. Cet écrit est né de la photo illustrant ce texte. Une photo prise hier de l’intérieur d’un tambour, d’un de ces tambours « monture entre les mondes ». Et voir alors que cette capacité du son du tambour à nous permettre de nous connecter à d’autres trames, à d’autres parties de la toile, à toute cette métaphore du fil, du tissage et de la toile, cet art du fil, du lien, de la tension pour que ça tienne, tout cela était au sens propre représenté dans ce tambour… Alors le Voyageur a tiré sur le fil, et de ce fil il a fait des mots, et des mots un tissage de sens et de compréhensions, et le texte est venu...

dimanche 4 février 2018

Hommage à Michael Harner



Ainsi, parfois, devons-nous beaucoup à des personnes que nous ne connaissons pas et qui parfois vivent à l’autre bout de la terre. Ainsi en est-il de Michael Harner. Je ne le connaissais pas ; j’ai juste lu ses livres (1), et leur lecture a eu pour conséquences quelques expériences qui font partie des plus belles de ma vie.

J’écris « je ne le connaissais pas », plutôt que « je ne le connais pas », parce que Michael Harner vient de mourir. Si tu veux plus de précisions sur sa vie et son œuvre, tu peux saisir son nom sur un moteur de recherche, les réponses y sont nombreuses. Je ne le connaissais pas et pourtant je suis ému. Il fut l’un de ceux qui ramenèrent les pratiques chamaniques en occident, comme Deshimaru amena le zen en Europe, ou comme Henri Gougaud contribua à faire revivre les contes en France à une période où presque plus personne ne s’y intéressait. Il fut de cet espèce de passeurs qui ouvrent des portes béantes sur de nouveaux possibles.

Dans le monde, des milliers de personnes ont donc fait l’expérience de ce que l’on appelle « le voyage chamanique » grâce à lui et à ses élèves (dont Sandra Ingermann et Laurent Huguelit, mais aussi d'autres qui sans être affiliés directement à lui et à sa fondation ont développé un travail dont il est à la source). Il fut celui qui, après avoir étudié en tant qu’anthropologue les pratiques chamaniques du monde entier (et avoir été lui même initié en Amazonie, ce qui dans les années 60, pour un anthropologue, était une transgression qui vous excommuniait à vie ! ), élabora ce qu’il appela le « Core Shamanism » (ou "chamanisme fondamental") ; c’est-à-dire un corpus de pratiques chamaniques a priori communes à l’humanité, à savoir (et pour faire court et simple) : l’entrée en état de conscience modifiée grâce au son d’un tambour ; de là l’expérience du voyage chamanique ; la structuration de cet univers chamanique en trois mondes : le monde du bas, le monde du milieu et celui du haut ; un ensemble de pratiques de soins dont les plus connues sont « l’extraction chamanique » et le « recouvrement d’âmes".

Grâce  à ce travail, des milliers d’occidentaux, mais aussi d'asiatiques et d'américains du sud) ont pu expérimenter à nouveau ce que leurs cultures avaient perdu (et parfois même consciencieusement détruit) : une expérience métaphysique profonde, une relation au monde pleinement vivante, l’expérience d’une transcendance spirituelle sans le recours à des intermédiaires ; un chemin d’expérimentation directe !

Oh bien sûr, les conséquences de ce travail (et l’écho qu’il a eu) n’ont pas eu que des retours heureux, et certaines pratiques induites parfois iconoclastes et complètement déconnectées de tout cadre ne vont pas sans poser questions et parfois même rejets de la part de tenants de pratiques plus traditionnelles mais pas que. Pour ma part je trouve pertinent le parallèle entre le développement du bouddhisme en occident (qui commença massivement à la fin des années 50) et celui du chamanisme. Au début, on déplace des formes et enseignements tels qu’ils sont (ou étaient) pratiqués dans leurs cultures d’origine, puis, on les adapte aux substrats culturels et psychiques dans lesquels ils se développent, remettant parfois en cause, non pas le fond des pratiques mais leurs formes, avec tous les risques et découvertes magnifiques (c’est en général proportionnel ! ) que cela implique !

Un des postulats visionnaires de Michael Harner (corroboré par des données statistiques sur des milliers de personnes) est que cette entrée en « état de conscience modifiée » grâce au son d’un tambour n’est pas l’apanage d’un petit nombre d’initiés mais est une capacité de l’immense majorité d’entre nous. Attention, il n’a jamais dit que nous étions tous « chamanes » (et ce mot est tellement empreint de pratiques différentes et de sens différents qu’il faudrait vraiment en trouver un autre). « Chamane » au sens de guérisseur, par exemple, n’est pas le statut de tout le monde. Mais la possibilité de pratiquer cet état modifié de conscience pour entrer dans une intimité psychique et sensorielle différente avec l’univers et soi-même ; oui.

Quatre ans que j’ai découvert ces pratiques et elles ont profondément changé ma vie. Et en ce jour où j’apprends que Michael Harner est parti pour un nouveau voyage dans l’autre monde, j’ai ressenti le besoin de le remercier. Il a ouvert une porte. J’y suis entré. Derrière c’est tellement beau…


(1) : « La voie du chamane » et « Caverne et cosmos » - Mama éditions.


lundi 8 mai 2017

Conter sur la « Voie du tambour », Une proposition de rencontre entre travail du conteur et pratiques chamaniques


Au commencement :

A toi qui es conteur, je vais raconter une histoire. Celle sur laquelle je chemine en ce moment, car les histoires sont aussi des chemins. C’est une belle histoire et donc un beau chemin et parce que ce qui est beau mérite d’être partagé, je le partage avec toi.

J’imagine que tu aimes les contes merveilleux et peut-être même en racontes-tu.
J’imagine aussi que, comme beaucoup d’entre nous, tu te demandes souvent comment il est possible que des cultures éloignées et coupées les unes des autres aient développé sur l’ensemble de notre belle planète des histoires presque identiques.

Tu as sûrement pu constater que certaines histoires ont un pouvoir d’enchantement qui nous met parfois dans un état de grâce au cours duquel conteurs et auditeurs semblent suspendus dans une sorte de rêve commun comme si, tous ensemble, ils étaient entrés dans un seul et même espace parallèle ou, plus simplement, dans un présent dense et pleinement habité.

Ne t-il t’arrive pas parfois de te sentir habité par une histoire comme si celle-ci était dotée d’un pouvoir mystérieux agissant sur toi ?
Sans doute as-tu déjà ressenti en lisant, écoutant ou racontant une histoire, cette sensation de « rentrer chez toi », une impression de « déjà vu », de « déjà vécu », comme si tu découvrais quelque chose que tu sais déjà, et comme si alors « ton âme respirait ».

Tu sais aussi, que parfois le héros - ou l’héroïne -  de ces contes entre dans une autre dimension par un trou dans la terre, un puits ou bien encore le creux d’un tronc d’arbre… Tu sais aussi que dans ces contes les quatre règnes  - minéral, végétal, animal et humain - sont reliés les uns aux autres et qu’il est fréquent d’y entendre un animal ou une plante parler avec un être humain. Par ailleurs, la magie est omniprésente dans ces contes et la figure de l’être bienveillant ou malveillant l’est tout autant, apportant lumière, enseignement, aide ou, a contrario, épreuves et souffrances. Tu sais aussi que le plus souvent, à la fin, le héros triomphant revient toujours d’où il est parti, quand bien même il s’est trouvé complètement transformé par le cours de son aventure.

Tu t’es sûrement longuement interrogé sur le sens à donner à tout cela. Dans l’histoire récente de la compréhension des contes - mis à part Bettelheim qui fut le premier à livrer son interprétation personnelle des contes au grand public - la vision jungienne avec sa psychologie des profondeurs, ses concepts d’archétype et d’inconscient collectif semble particulièrement appropriée au conte.
Mais peut-être as-tu l’intuition qu’il y a autre chose encore. Une porte qui n’a pas été poussée, un royaume dans lequel tu n’es pas encore entré et c’est cette histoire-là que je voudrais te raconter.

Sur le chemin, la rencontre :

De cette histoire, ma modestie dusse-t-elle en souffrir, je vais être le personnage principal. Donc un conteur. Un conteur depuis près de 18 ans. Oui, un peu comme sur ces façades de boutiques, de restaurants ou de garages sur lesquelles il est écrit « depuis 1998 », comme un gage de sérieux et de longévité. Donc, un conteur qui aime les contes merveilleux et qui a vécu maintes fois ce que j’ai évoqué ci-dessus. Un jour, ce conteur s’est mis à lire des ouvrages sur le chamanisme. Il trouvait ça beau et inspirant, y retrouvait bien sûr des motifs de contes, mais il se disait que tout cela appartenait à d’autres cultures, plus ou moins « premières » ou «exotiques » et que tout cela, de toutes façons, ne pouvait concerner que des initiés à la formation particulière et hors d’atteinte pour un occidental en milieu urbain du 21 ème siècle.

Et puis, il y eut la découverte d’un livre de Michael Harner (1), et puis il y eut cette discussion avec une amie -elle-même déjà coutumière de ces pratiques- à qui je disais mon intérêt et mon attirance pour la chose, mais avec les réserves que je viens d’exprimer. Ce à quoi, elle me répondit goguenarde et amusée (oui, je sais ; j’ai déjà raconté cette scène par ailleurs) :

- Tiens tu n’as qu’à lire ce livre. Tout est expliqué et puis on en reparlera.

C’était un livre d’initiation pratique au « voyage chamanique » (2). Je le lus donc et un jour fis ma première tentative de « partir en voyage chamanique ». C’était, je crois me rappeler, entre janvier et mars 2014 ; soit il y a trois ans à l’heure où j’écris ces lignes.

J’étais alors dans une autre vie, habitait dans une autre ville, avec une autre femme ; et si je frôle ici des aspects plus intimes, c’est juste pour dire que parfois, la vie se charge de faire un ménage qui vous récure jusqu’à l’os et vous oblige alors à changer profondément, comme une révolution copernicienne. La vie vous oblige aux métamorphoses quand nous sommes nous-mêmes parfois si soucieux de notre confort. En tout cas, ce premier « voyage » donc, je le fis ; et cela changea complètement ma vie. De là naquirent le Tarot chamanique, une autre vision du monde et de ma vie, un nouveau métier, de nouvelles expériences, une nouvelle place dans le monde, et… une nouvelle approche de ma pratique de conteur. Oui, ce fut un bouleversement complet, profond et irrémédiable.

Cet enseignement chamanique, cette expérimentation au quotidien, je les ai appelés « la Voie du Tambour » parce que, dans cette pratique-là, le tambour est le messager qui nous permet d’entrer dans « l’autre monde » et parce que le mot « chamanisme » est un terme sur lequel peuvent se greffer beaucoup de malentendus, même si il est très difficile d’en trouver un autre.

Sur la voie du tambour :

Au cours de ces voyages chamaniques, je découvris donc qu’il est conseillé lors des premières tentatives de chercher un trou dans la terre ou dans un arbre ; l’entrée d’une caverne pour « descendre dans le monde du bas ». Je découvris aussi que tous étions accompagnés, même sans le savoir, d’un « animal-totem » ou « animal de pouvoir » ou encore « animal gardien »; qu’il était possible au cours de ces voyages de recevoir des enseignements, des réponses et des compréhensions d’une pertinence et d’une intelligence absolument stupéfiantes ; que nous pouvions y entrer en contact avec des animaux, des plantes, des arbres, des pierres, dans la mesure où chaque chose, chaque être, dispose d’un « esprit » avec lequel il est possible d’interagir ; qu’il existait aussi un « monde du haut » et même un « monde du milieu » ; et que j’étais moi-même le protagoniste complètement impliqué du « voyage » que je faisais… Que nous ne sommes jamais complètement identiques en fin de voyage à celui, ou celle que nous étions au début ! Tout cela en m’accompagnant du son d’un tambour et en suivant un protocole particulier…

Par-delà l’ébahissement et l’émerveillement de ce que je vivais, je découvris alors que beaucoup de contes (surtout les contes dits « merveilleux ») étaient structurés exactement comme un voyage chamanique, celui qui en fait l’expérience étant en quelque sorte comme le héros en quête, et très vite je m’y sentis comme chez moi. Quand je dis « je m’y sentis comme chez moi », je veux dire que j’eus l’impression alors -qui ne s’est pas démentie depuis- de retrouver quelque chose que je connaissais parfaitement mais dont j’avais en quelque sorte perdu la clé. Une sorte de réunification psychique qui fut pour moi comme un nouvel élan.

Bien sûr cela ne se fit pas sans questionnements, voire remise en cause pour le rationnel que je suis. Il s’en suivit même une période (révolue) où je perdis même le goût des contes, ceux-ci m’apparaissant alors comme pauvres en comparaison.

Avant d’aller plus loin, insistons sur le fait que le terme de chamane peut recouvrir des pratiques et des fonctions très différentes selon les cultures : guérisseurs, guides spirituels ; conseillers pour la chasse, la pêche ou les récoltes ; directeurs de rituels d’harmonisation ; garants de l’unité de la communauté ; devins, visionnaires ; dépositaires des mythes et histoires de la communauté. Ce dernier item renvoyant directement à celle du conteur…

Par ailleurs, le terme de « voyage chamanique » mériterait peut-être d’être plus explicité pour éviter certaines ambiguïtés ou projections. Les termes de « rêve éveillé » ou de « Rêve Actif », par exemple, ne sont pas dénués d’intérêt. Ce qui est certain c’est qu’il existe plusieurs types d’états de conscience modifiée. Il est d’usage pour ce dont parle ce texte de parler de « d’état de conscience modifiée ou chamanique ». C’est une transe légère radicalement différente, par exemple, de la possession que l’on peut observer dans certaines pratiques chamaniques sur d’autres continents. Concrètement, cet état de conscience modifié s’atteint, dans la pratique qui est la mienne, grâce à la scansion répétitive d’un ou plusieurs tambours, ce son et cette répétitivité provoquant une modification du fonctionnement du cerveau.

Enfin, une dernière précision importante : les pratiques chamaniques ne sont pas des « remèdes miracles » : en général on y trouve ce que l’on est prêt à recevoir- et ce que l’on est prêt à aller chercher. Aussi efficientes, sages et profondes soient-elles, elles ne font pas à la place de. Ici, il s’agit d’un enseignement et d’une exploration qui laissent (et c’est heureux !) un absolu libre-arbitre à celui qui les pratique. Et si elles ouvrent des pistes (et parfois déblaient largement !) c’est à celui qui les pratique de faire le travail qui lui revient pour que les expériences qu’il y aura vécues et les enseignements qu’il y aura reçus s’incarnent pleinement dans sa vie. Voilà donc qui est dit ! Revenons donc à notre réflexion.


Contes et voyage chamanique : deux branches d’un même arbre

Ce que j’expérimentais alors est que les contes pourraient être les dépositaires d’un savoir et d’une expérience très ancienne. Henri Gougaud a maintes fois postulé –et je l’accompagne dans cette hypothèse- que les contes pourraient être les traces des premiers voyages chamaniques de l’humanité. Et quand bien même cette hypothèse mériterait d’être démontrée (si tant est que ce soit possible), rappelons que si le chamanisme est la plus ancienne pratique spirituelle connue (les premières traces identifiées sont datées de 35 000 ans avant J.C. ! ), le conte est de toute évidence une des formes d’art la plus ancienne avec la musique et le chant.

Il est d’usage d’expliquer dans les ateliers contes que pour bien raconter une histoire, il faut en quelque sorte plonger dans ses paysages, vivre avec ses personnages, ressentir les odeurs, les couleurs, le froid, le chaud, les affects… Et que plus nous en avons une expérience profonde et disons « incarnée » plus notre récit sera évocateur. C’est très exactement ce que nous vivons lors d’un voyage chamanique ! Nous sommes acteurs et spectateurs à la fois d’une aventure que nous vivons…
Probablement qu’il serait possible d’imaginer qu’en des temps très anciens, après un « voyage » ou un rituel, les personnes présentes demandaient au chamane :

- « Raconte-nous ce que tu as vu !».

Alors le chamane racontait. Oh sans doute pas tout bien sûr ! Certaines choses se doivent de rester cachées ! Mais racontait quand même. Et ces récits furent repris, par l’un, par l’autre, jusqu’à se figer en des formes qui ont traversé les siècles et que nous avons appelé « mythes » ou « contes ». Ce n’est qu’une hypothèse bien sûr. Mais quand même… Prenez Frau Holle, chez les frères Grimm (3), qui « tombe » dans le puits pour arriver dans un autre monde. C’est exactement le début d’un voyage vers « le monde du bas ». ! Et je ne parle pas d’Alice au pays des merveilles… Prenez le conte inuit de la « Femme squelette » ; c’est très exactement la transcription d’un rituel de guérison chamanique consistant à démembrer symboliquement une personne pour ensuite la reconstituer sans les maladies et mauvaises choses qui s’y étaient installées. Prenons aussi Yggdrasil, l’arbre cosmique nordique ; il est presque identique à la représentation que font des indiens d’ Amazonie de leur cosmogonie (4) ! Je pourrais multiplier les exemples à l’infini et sans doute le ferai-je un jour pour un livre consacré au sujet.

Donc récapitulons :

- Conte merveilleux et voyage chamanique semblent procéder d’un espace psychique similaire et pour le moins d’une expérience commune.
- Conte et voyage chamanique sont deux voies majeures d’entrée en relation avec notre psyché profonde. Les contes merveilleux sont des scénarios psychiques qui fonctionnent souvent comme des processus de résolutions de conflits ou de difficultés intérieures ou relationnelles. Le voyage chamanique est un chemin d’initiation et d’apprentissage qui procède de lois similaires.
- Cela implique que si le conte peut être perçu comme un scenario psychique à but d’apprentissage et d’expérience, il en est de même pour le voyage chamanique qui ontologiquement est un enseignement souvent à but de guérison, voire parfois une initiation spirituelle.
- Leur vision globale du monde (pas de séparation entre les règnes minéral, végétal, animal, et humain) les rapproche.
- On y trouve en commun le recours à des « intermédiaires magiques » et à certaines figures agissantes (vieil homme sage, vieille femme connaissant des secrets, guides divers, la nature comme lieu d’initiation, etc…).
- Dans les deux cas un personnage principal se met en chemin (le héros dans le conte, celui qui fait le voyage dans le chamanisme) et aucun des deux n’en revient exactement semblable.
- Conte merveilleux et voyage chamanique ont en commun la quête d’une harmonie à retrouver avec son environnement. Celui désigné comme « héros » est celui qui sait trouver des réponses en s’aidant de ce qu’il rencontre de façon respectueuse.
- Au cœur de la vision chamanique, réside la nécessité pour l’être humain de retrouver sa juste place dans l’univers.
- Tout comme le héros d’un conte a une mission, tout voyage chamanique doit être effectué avec une intention précise.

Mais recentrons-nous pour poser LA question : en quoi : comment et pourquoi la pratique du voyage chamanique peut-elle enrichir et féconder la pratique du conteur ?

Sur les raisons et les façons d’emprunter ce chemin :

Le retour à la source :

La « voie du tambour » est un chemin d’accès direct à la psyché profonde. Un des noms donnés aux pratiques chamaniques est « la voie de la révélation directe ». On s’y connecte avec le plus souvent une facilité déconcertante à une de nos parts les plus riches et fécondes.

Posons donc que le conte merveilleux procède de la même chose et des mêmes espaces intérieurs. Alors, le voyage chamanique peut devenir une voie d’accès directe à l’espace intérieur du conte et du conteur. Approcher le conte à travers ce prisme opère comme un retour à la source et procède d’une revitalisation profonde de celui-ci et de la pratique du conteur !

Par là-même, il est possible de travailler sur trois axes :

- Remonter à la source du conte merveilleux et expérimenter directement son essence profonde (Nous avons commencé à l’aborder dans les parties précédentes de ce texte).
- Revitaliser la psyché intime du conteur et donc travailler sur sa qualité d’être et de présence.
- Expérimenter un art de la mise en relation tout à fait particulier.

Après la source : rivières et confluents :

Sur l’établi :

Régulièrement, sur l’établi du conteur reviennent certains questionnements, dont ceux-ci :

- A partir de quel endroit intérieur et psychique se situe-t-il pour conter ?
- Par quels moyens se met-il en cohérence intérieure avec ce qu’il est, ce qu’il raconte et l’instant présent ?
- Comment laisse-t-il le conte vivre en lui ? Comment se laisse-t-il habiter par le conte qu’il raconte ?
- Au-delà des considérations strictement physiques (contexte, publics, etc…), comment travaille-t-il l’espace imaginaire de la contée ? Comment, et où, y place-t-il le public et sa parole ?

Ce sont bien sûr des questions auxquelles il peut être répondu sans le recours à une pratique chamanique. Toutefois mon expérience en atteste : le voyage chamanique est un processus à la pertinence surprenante qui permet d’apporter des réponses édifiantes. Non pas seulement édifiantes parce que parfaitement structurées (elles le sont, même si les symboles et les codes utilisés nécessitent parfois un décryptage ! ), mais édifiantes parce que –par un processus mystérieux- elles sont complètement adaptées à la personnalité profonde du conteur.

Comme si le voyage chamanique permettait de se connecter à une intelligence particulière plus réalisée que ce que nous sommes…

De la relation du conteur avec les contes :

Ainsi, dans ce travail, le conteur peut explorer son « lieu de conte » ; il peut aller à la rencontre d’un conte et de son « esprit », il peut même lui demander des informations ; il peut (et c’est un préalable indispensable !) rencontrer son « animal totem » ; rencontrer son « esprit de conteur », et même travailler avec des « présences » qui l’aideront pendant son travail de conteur (si, si…) En un mot, par l’expérience du voyage chamanique, il parle le même langage que les contes qu’il raconte ! Connecté à sa psyché profonde, son travail de conteur résonnera tout autrement, et enfin, parce qu’il aura expérimenté que le conte est un art de la présence qui convoque des présences, il entretiendra avec son public une relation plus profonde. Il ne « travaillera » plus des contes, il les laissera vivre leur présence et se déployer dans l’espace qui est le leur.

Par ailleurs, qui dit « voyage » dit « quelqu’un qui se met en marche » et qui dit « quelqu’un qui se met en marche » dit une quête ou une aventure. Et qui dit une quête ou une aventure dit une narration. Ainsi rebouclons-nous la boucle. Le conteur du merveilleux est dépositaire de récits qui, peut-être (en tout cas, j’aime à le penser), sont des bribes cristallisées de voyages chamaniques très anciens. A lui, conteur marchant sur la Voie du tambour, reviendra la mission de mettre en narration les expériences qu’il aura vécues en état de conscience modifiée, faisant alors circuler de par le monde de nouveaux récits.

De la présence et de la relation avec les publics :

Dans la mesure où le conte est un art qui ne montre presque rien mais évoque presque tout, la qualité de présence du conteur et la manière avec laquelle il se laisse habiter par son histoire sont essentielles. Pour cette raison beaucoup de contes obligent le conteur à travailler son intériorité. Le voyage chamanique étant aussi un voyage intérieur il peut donc y contribuer puissamment.

Par ailleurs, pour citer à nouveau Henri Gougaud, celui-ci formule l’idée que le public écoute le conteur de l’endroit d’où celui s’installe pour conter. Étant bien entendu précisé qu’il ne s’agit pas ici d’un endroit physique mais d’un espace intérieur. Travailler sur cet « endroit » implique une profonde métamorphose de la manière avec laquelle le conteur maille la relation avec son public. En explorant et en s’imprégnant de nouveaux espaces intérieurs grâce à la Voie du tambour, le conteur peut impulser une dynamique particulière à cette relation.

L’estuaire :

Trouver son animal totem, trouver son « esprit de conteur » (et aussi travailler sur ses ressources vives mais aussi ses empêchements), rencontrer « l’esprit » de ses contes, trouver son « lieu de conte », travailler sur sa pleine présence et une relation vivifiée avec son public, expérimenter ce qui se passe si il conte et explore ses contes en état de conscience modifiée, puis, raconter ce qu’il aura vécu : c’est ce travail que je me propose de développer et de mettre en place dans le cadre de stages d’initiation chamanique à l’intention de conteurs.

Le conteur est un passeur entre les mondes. Il fait circuler d’oreilles en oreilles et d’âmes en âmes des récits très anciens qui témoignent d’une reliance en grande partie perdue avec le monde. Cheminant sur la Voie du tambour il a la possibilité d’expérimenter et de retrouver cette reliance, revitalisant par là-même, et sa pratique de conteur et sa psyché profonde. Resserrant entre ses doigts et tissant de sa parole « le fil de la merveille » ; celui dont l’écrivaine et enseignante Christiane Singer disait « qu’il était peut-être de notre devoir le plus impérieux de ne jamais le perdre ».


D’un point de vue pratique :

Ces stages d’initiation au voyage chamanique à l’intention de conteurs sont prévus sur trois jours. Ils s’adressent à des groupes de 6 à 12 personnes et seront animés par deux personnes : Murielle Lemarié, praticienne et thérapeute chamanique, et moi-même, conteur et pratiquant sur la Voie du tambour. Ils s’adressent à toute personne ayant une pratique de conteur, même débutante. Il n’est pas nécessaire d’avoir déjà fait un stage d’initiation chamanique auparavant, l’initiation étant prévue au cours du stage. Ils sont à ce jour prévus sur Paris et en Aveyron.


(1) : La Voie du chamane de Michael Harner – Mama Éditions
(2) : Initiation au voyage chamanique de Sandra Ingerman – Éditions Vega
(3) : Contes pour les enfants et la maison – Les frères Grimm – José Corti
(4) : Les arbres entre visible et invisible de Ernst Zürcher – Actes Sud


dimanche 3 avril 2016

Rêve-toi et marche !



Le Voyageur était donc sur la voie du Tambour. C'était pour lui une surprise et un émerveillement sans cesse renouvelés. De cette voie qui lui avait déjà appris et montré tant de choses, il se demandait comment l'incarner, la faire vivre, au fil des jours qui passent. L'idée d'imaginer que ces deux mondes seraient deux choses distinctes venait heurter en lui quelque chose de très profond. Il ne pourrait y avoir ce monde de l'esprit et du Rêve d'un côté, et celui de la vie quotidienne ; travail, vie sociale, loisirs... de l'autre. Cela eut été comme une schizophrénie, un dédoublement, quelque chose de profondément maladif, une fuite en des chimères. Que signifieraient les paroles les plus belles si elles ne trouvaient pas à vivre et irradier là où elles sont nécessaires, c'est-à-dire, là, dans nos vies, de bric et de broc, au milieu de nos remugles, de nos tentatives maladroites, de nos errements, de nos souffrances, de nos combats, et aussi de nos joies ? Il semblait au Voyageur vital de prendre chaque chose par tous les bouts et pas simplement par ceux qui nous arrangent. Fuir un monde d'incertitudes et de folies pour un monde éthéré où tout serait beau ? Sans lui. Il avait un corps, il était en vie ; et en cela il se devait de vivre cette expérience dans toutes ses acceptions : émotionnelles, physiologiques, sexuelles, symboliques, cérébrales, spirituelles... Il n'était pas un ensemble de parties dissociées réunies par on ne sait quel hasard, ou quelle nécessité. Et quand même eut-il très peu de réponses, il savait juste ce qu'il ne voulait pas. Ce qui est déjà beaucoup.
Aussi, un matin, sur la voie du Tambour, du fin-fond de l'univers lui sont venues des paroles d'un homme à la voix vibrante et posée. Elles disaient à peu près ceci :

« Depuis si longtemps, tu as été formé et éduqué pour croire que l'entité incarnée que tu es est la stricte résultante d'un ensemble de facteurs génétiques, familiaux, sociaux, culturels... Tout juste aménageables par un libre-arbitre et une capacité à faire tes propres choix qui semblent pour beaucoup le propre de l'espèce humaine. Oh certes tu as appris, et vous le savez depuis peu, que tout l'univers est régi par les mêmes lois et les mêmes règles. Que tout ce qui existe est composé des mêmes briques élémentaires ; et par cette connaissance qui vient résonner avec une multitude d'intuitions spirituelles, tu as commencé à penser l'unité. Une nouvelle branche de la physique vient requestionner tout cela. Remettant en cause toutes tes géométries euclidiennes, tes représentations physiques... Dans cet univers, rien n'est localisé, une chose peut-être onde ou particule selon qu'on l'observe ou pas, le temps n'existe pas. Ça te trouble ça non ?
Dans ce monde qui est le tien, tu penses avoir une âme et surtout tu sais avoir une conscience. Tu sais que tu vis et il y a donc en toi un observateur. Tu as conscience de toi et du monde. Et de cette conscience tu observes l'univers et le monde.
Ce que tu as besoin d'apprendre, c'est qu'une part de ton âme et de ta conscience n'est pas produite par toi, mais qu'elle préexiste à toi. Autrement comment expliquerais-tu les millions de témoignages de personnes revenues d'état de mort clinique et pour lesquelles de toute évidence, la conscience avait survécu à leur mort physique ? Il faut que tu apprennes que la conscience est partout. Que l'univers EST conscience et que tout ce qui existe en est dépositaire d'une parcelle. L'univers te rêve tout autant que tu le rêves ! Ton âme, elle-même, est une parcelle de cette conscience. Apprends donc à la nourrir, à l'écouter, à la respecter. Penses-tu que tu ne viens au monde que pour expérimenter certains plaisirs et déplaisirs pour ensuite disparaître à jamais ? Ton corps, oui, est éphémère (et pas les atomes qui le constituent !) mais ton âme résonne et vibre bien au-delà de toi ! L'univers est une conscience dans laquelle l'information est partout comme un gigantesque filet invisible. Toute information circule en toutes les directions et dans tous les niveaux de réalité. Non, ne te braque pas : beaucoup de chercheurs en ton monde en ont maintenant, soit la certitude, soit l'intuition attendant la preuve. Et cette preuve viendra. Irréfutable.
Mais revenons à toi. Oui, tu es bien plus vaste que ce que tu n'imaginais. En fait, tu es aussi vaste que l'univers d'une certaine façon. Tu es plus que ta propre histoire. Car que tu te connectes à ce maillage d'informations et alors tu peux avoir accès à toute l'expérience possible et imaginable. Oui, je sais, il est facile de s'y perdre ! Facile de prendre des vessies pour des lanternes, de simples projections pour des vérités transcendantales ! De confondre lumières et démons intérieurs.
L'âme est ce qui vit en toi et résonne. Beaucoup de tes contemporains, et toi aussi, êtes malades de cette absence ou de cette insuffisance de reliance et de connexion avec l'univers et le vivant. Parce que cette absence éteint votre âme, cette étincelle de conscience en vous. Vous vous pensez tellement seuls et isolés alors que vous êtes entourés de présences attentionnées à n'en pas pouvoir toutes les rencontrer en une vie !
Tu te demandes comment articuler ce que tu vis « avec nous » et ta vie de tous les jours. En fait, si tu te situes là où vibre ton âme, il n'y a aucune frontière entre les mondes. Là où tu fais chanter ton âme, là sont la vie et la conscience. Fuis ce qui l'éteint et cherche ce qui la nourrit. Cela n'est pas dans les limbes, non. Cela se passe là où l'âme peut expérimenter et faire ce pour quoi elle est faite. Chaque âme est porteuse de sa « médecine » (ici au sens de : propriétés et talents autant visibles qu'invisibles de chaque chose, qui contribuent à la guérison, dans le sens de prendre soin, d'éveiller, de réunifier... Chaque personne a sa propre médecine qui peut tout aussi bien être l'art, l'expression de la beauté...(1)
Ta médecine, tu la connais : tu es Celui qui Parle. Ce sont les mots. Tu sais soigner le monde par les mots. C'est pour cela que nous communiquons avec toi par eux. Tout ce que tu fais, l'écriture, les contes, le Tarot, les rencontres d'âme, les soins sur la voie du Tambour, et même ton travail de directeur culturel, procèdent de cette médecine-là. Dans ton identité profonde, tu n'es pas « chamane », « conteur », « tarologue » ou que sais-je encore... Toutes ces catégories que vous aimez utiliser. Non. Tu es Celui qui Parle. C'est là ta médecine ; le pouvoir qui t'a été donné et que tu as su cultiver. Et par le pouvoir des mots tu participes de cette conscience dont je te parlais. Laisse faire ton âme. Elle sait. Tu es un de ceux qui ont pour mission de mettre des mots sur la voie du Tambour. Cela est précieux et ne peut se faire qu'à la condition de l'humilité. Que tu tombes dans le piège de l'ego et alors tu n'es dès lors plus porteur que de toi-même et cela ne résonnera pas.
Tout le monde peut se relier à cette grande toile universelle. Il n'y a là-dedans rien d'ésotérique. C'est une capacité de l'esprit humain, ou plutôt de la conscience dont tous êtes le dépositaire. Il faut travailler à ce que le plus grand nombre possible de personnes puisse l'expérimenter tout en étant très exigeants sur la manière de le faire.
Cette voie du Tambour avait disparu de ta civilisation. Heureusement, d'autres cultures avaient pu -contre vent et marée- la préserver. Vous devez apprendre d'eux avec le plus infini respect, mais il vous revient de créer une voie qui résonnera avec ta propre culture et les mythes qui la structurent. Les pièges sont nombreux. Et certains ne manquent pas déjà d'en faire un divertissement rémunérateur. La Vie crée, détruit, refait, réinvente sans cesse et sans relâche. C'est le principe de la vie même que de créer et de se réinventer. La voie du Tambour est là pour soigner vos âmes, pas pour les réduire à une imitation. Vous devez donc être forts et d'une humilité absolue, malins, à l’affût, et surtout vous devez être à l'écoute de cette conscience intelligente et bienveillante qui n'attend qu'une chose ; c'est que vous la sollicitiez avec une intention non altérée par vos propres démons intérieurs.
Votre cerveau est comme un extraordinaire récepteur-émetteur de télévision. Ce sur quoi il n'est pas branché, synchronisé, n'existe pas alors que pourtant tous ces programmes non lus existent. Par la voie du Tambour, votre cerveau se connecte sur le programme de la conscience universelle.
Tu rêves ton âme tout autant qu'elle ne te rêve. Et tu rêves l'univers tout autant qu'il ne te rêve. Alors rêve-toi et marche (2), pourrais-tu dire...
A bientôt »

Le Voyageur resta silencieux un bon moment. Plus tard il transcrirait ce qu'il venait d'entendre essayant de donner une forme recevable en son monde. Mais le Voyageur sentait qu'en lui avait été déposé un gemme. Comme un gemme de lumière et de conscience qui maintenant avait à trouver sa place là, ici et maintenant dans ce monde des Hommes sublime tout autant que désespérant...

(1) : Une partie des thématiques de ce texte m'a été soufflée suite à une lecture d'un livre qui vient de sortir qui s'intitule « L'approche chamanique de la thérapie » de Liliane van der Velde et Olivier Chambon aux éditions Vega. Un livre que je recommande très fortement à ceux qui s'intéressent à ces choses)


(2) : Expression entendue ce jour de la bouche de l'ami conteur Patrick Fischmann.



samedi 16 janvier 2016

Les rencontres d'âme



Ci-dessous, une présentation légèrement fictionnée de ce que j'appelle "les rencontres d'âme". Cette pratique s'inscrit dans le même champ de travail et de recherche que ce je propose avec les consultations de Tarot chamanique (en précisant que pour les rencontres d'âme, il n'est pas nécessaire que la personne consultante soit physiquement présente). 
Si vous êtes intéressés pour en savoir plus (cadre, conditions, etc...), merci de me contacter par mail.
Ce type de texte est toujours difficile à écrire, tant il importe de trouver la bonne distance et la justesse de ton. J'espère simplement que ce texte vous donnera envie d'en savoir plus...


"Infini est le monde sur la Voie du tambour...

C'était il y a peut-être un an, peut-être un peu moins, peut-être un peu plus ; et le Voyageur, porté par le tambour, était alors parvenu quelque part dans l'infini de l'espace ; tout en haut. Une voix lui disait qu'il était « là où tout se rejoint ; ou tout est lié » et ajouta :

- Cela t'intéresserait sans doute de rencontrer ton âme... Alors demande à la rencontrer.

Le Voyageur s’exécuta et un être lui apparut, à son image, mais épanoui et complètement réalisé, qui se mit à lui parler. Et ce qu'il lui dit, raisonna au plus profond. C'était comme si quelqu'un et quelque chose, le connaissant mieux que lui-même, venait lui dire ce dont il avait vraiment besoin pour accomplir son destin et être heureux.

- Vois-tu, poursuivit la voix qui l'avait préparé à cette rencontre, la vie en vous est comme une rivière impétueuse qui coule, et parfois elle tombe dans des gouffres, s'immobilise dans des marigots, stagne, se disperse ; et dès lors vous êtes comme éteints. Vous perdez votre centre, votre axe, votre vitalité et il vous faut remonter à la source. Et votre source à vous, c'est votre âme ! Et alors, vous retrouvez une vitalité qui vous permet à nouveau d'avancer. Toi et ceux de ton monde, perdez plus que de raison le contact avec votre âme. Celle qui sait ce dont vous avez besoin. Celle qui sait pour quoi vous être faits. Celle qui connaît votre place dans le monde. Celle qui connaît les remèdes dont vous avez besoin et les décisions que vous devez prendre... Vous avez tellement besoin de retrouver la source de vous-mêmes !

- Oui, mais comment faire ?

- Tu es passeur entre les mondes, n'est-ce pas ? Et guérisseur d'âme qui plus est... C'est ton travail maintenant ! Tu vas donc les rencontrer ces âmes ! Tu iras dans cet endroit bien précis que nous t'avons fait voir, après avoir battu le tambour et fait ce qu'il y a à faire. Et tu demanderas à rencontrer les âmes de ceux qui te le demanderont. Tu écouteras, regarderas et en feras témoignage. Attention ! Jamais tu ne le feras si la personne ne te l'a pas demandé ! Est-ce bien clair ?

- Oui, mais après ?

- Après, tu verras... Tu sauras faire...

Et le Voyageur, alors, fit ce qu'il finit par appeler une « rencontre d'âme », et puis une autre, et puis bien d'autres... Et à chaque fois c'était pour celles et ceux qui le lui avaient demandé comme une expérience ressourçante et éclairante, venant résonner avec le plus profond d'eux-mêmes.

Dans cet espace dont il est question plus haut, les âmes lui apparaissaient sous l'aspect physique du consultant ; mais ses vêtements, son décor proche, sa voix, sa posture, chaque chose disait quelque chose d'important. Ce que le Voyageur rencontrait était une forme d'âme médiatrice qui profitait de sa présence pour exprimer ce dont elle aurait besoin, ce qui aurait besoin d'être vu et écouté, et qui n'était plus perçu depuis longtemps. Parfois même, elle lui livrait des informations objectives qu'il n'aurait jamais pu connaître et qui s'avéraient vraies par la suite... C'était comme si ce qui n'était plus ni vu ni entendu par le consultant, était soudainement exprimé, dans une simplicité de mots et de moyens tout à fait étonnante.

Parfois, ces rencontres étaient suivies d'un tirage de Tarot. Et quelle fascinante expérience pour le Voyageur de faire un tirage de Tarot pour et avec une âme ! Parfois, des conseils et / ou des rituels étaient préconisés par une présence passant par ici... Parfois, il y avait juste l'âme qui parlait, souffrante souvent au début, puis apaisée et heureuse vers la fin ; en général.

Le Voyageur enregistrait ces propos passant par sa voix à lui sur un petit enregistreur...
Ensuite il communiquait le fichier audio à la personne. Et les retours étaient toujours très enthousiastes et émus.

Certains appelleraient cela du channeling ou de la méta communication, ou des échanges trans-personnels... Le Voyageur pour sa part, ne cherchait pas à systématiquement vouloir tout expliquer. Parfois les choses ont besoin de mystère pour fonctionner... Ce qu'il faut dire aussi, c'est que le principe de ces rencontres d'âmes fonctionne même avec des personnes que le Voyageur ne connaissait pas ! Dans ce cas, un échange téléphonique préalable et l'envoi d'une photo suffisent. Et sur cet aspect des choses, il est certain que la pensée rationnelle ne peut arguer que le Voyageur ne fait que fantasmer l'idée qu'il se fait d'une personne qu'il connaîtrait déjà...

Faire renouer entre une personne et son âme génère deux joies : celle du Voyageur, content d'avoir fait son travail, et surtout celle du consultant qui ressent souvent comme un soulagement, une libération et une grande joie. Comme une revitalisation de son être débouchant sur de nouvelles perspectives. Et si des rituels sont prescrits, leur efficience par la suite s'avère toujours étonnante...

Oui, les mondes sur la Voie du tambour sont infinis et porteurs de merveilles et d'étonnements pour notre raison parfois si frileuse. Le Voyageur avait très vite abandonné la question consistant à se demander si tout cela « était vrai » et, ou, « explicable ». Il se contentait d'explorer et de constater avec une joie non feinte l’extraordinaire potentiel de ces pratiques. La joie des témoignages qu'il recevait par la suite était, elle, bien réelle et ce qui se mettait alors à bouger en chacun l'était tout autant. Et cela était bon...

Sur ce chemin, le Voyageur, passeur entre les mondes et guérisseur d'âme et de corps, allait ; explorant à l'infini et dans la plus profonde gratitude ce qu'il n'aurait jamais soupçonné il y a encore si peu de temps."

La Voie du tambour : les premiers textes

 Les textes suivants ont été originellement écrits sur un autre blog. Il m'a semblé intéressant de les regrouper ici pour mémoire.

27/10/2015

Des pommes !

Après une vision de ce type, impossible de se dire après "qu'espèce de courge" puisse être une insulte. Mais bien plutôt un compliment !
Au cours d’un voyage sur la Voie du tambour, il lui avait été soufflé de prendre une pomme dans sa main et d’écouter ce qu’elle avait à lui dire. Cela tombait bien, il était sur les terres de l’Émerveillée et en cet automne tardif et foisonnant, la nature regorgeait de fruits et de couleurs à en perdre la tête.
En contre-bas de la maison, il y avait un verger planté de quelques pommiers appartenant au voisin qui, trop âgé pour les cueillir, donnait les pommes à qui les ramasserait. L’herbe en était jonchée ; c’était pour faire du jus, peu importe qu’elles soient parfaites, et en à peine deux heures à deux, ils en ramassèrent 150 kilos. Seul un moment, en cette matinée d’automne si belle, il prit donc une pomme dans sa main droite tout en touchant le tronc de sa main gauche. Et ce qu’il sentit, c’est une immense bouffée d’amour. Il sentit l’amour de cet arbre et sa générosité ; toute son énergie, absolument toute, consacrée à produire des graines à profusion de manière à ce que la vie se perpétue au-delà de lui. Chaque graine, chaque fruit étant un cadeau de la vie à elle-même dans une sorte d‘abondance mirifique profitant à tous : chevreuils, oiseaux, insectes, hommes… Des kilos et des kilos de vitamines, de vie, de jus, de fruits à venir… Et en chaque pomme un condensé d’énergie colossale, un mini big-bang, un arbre entier en germe et des centaines de milliers de fruits à venir… Il en faut de l'amour pour produire tout cela...
Qui n’a jamais pressé des pommes ne peut savoir l’extraordinaire jouissance à voir ces litres et ces litres de jus couler. Une sorte de corne d’abondance infinie qui, somme toute, nécessite une technologie simple pas encore greffée d’intelligence numérique : un broyeur, une presse à main, quelques bacs, une machine à pasteuriser, quelques tuyaux aboutissant à quelques robinets d’où jaillit alors un jus doux, sucré et encore chaud. Un nectar, une quintessence de pomme. Il faudrait, oui, apprendre à nos enfants cette générosité de la nature envers nous, cette offrande accessible à qui simplement peut faire l’effort de se baisser, ces cycles du vivant si parfaitement synchronisés…
Le lendemain, le Voyageur et l’Émerveillée en ses terres sont partis faire une grande promenade dans les monts et vallées environnant. Une contrée encore préservée de la folie des hommes qui ont su y rester des jardiniers respectueux. Une longue descente sur un chemin de pierres serpentant vers une vallée en contrebas creusée par une rivière. Un endroit hors du monde, peuplé de chevreuils, d’oiseaux rares et de sources restées sauvages et libres. Au bout du chemin, une source réputée miraculeuse se jetant dans la rivière à proximité d’une chapelle construite pour honorer la source de ses bienfaits. Fatigue dans les jambes (le Voyageur est encore un homme des villes à l’activité plutôt sédentaire a contrario de l’Émerveillée qui elle, se déplace tel un cabri). Souffler, déposer dans la source quelques pierres pour les purifier, s’asseoir sur un muret de pierres, écouter le silence et le vent qui souffle. Sentir la paix descendre en soi, se réjouir des caresses des feuilles du noisetier tout autour de sa tête et de ses épaules comme un soin énergétique délibérément voulu par une conscience inconnue, poser ses mains sur la pierre et puis sentir en soi, comme il le voit lors de ses voyages au tambour, la présence d’une entité féminine, comme une sorte d’hologramme lumineux ayant forme de femme ondine, qui lui parle dans le secret du cœur. Un moment rare qui, mêlé aux soins du noisetier fut comme un rituel de guérison du cœur et de l’âme. Comme si quelque chose s’était ouvert en lui.
Quelques jours plus tôt, toujours accompagné de l’Émerveillée en ses terres, il avait eu l’occasion de rencontrer un homme venu de loin, et pour quelques jours seulement. Un de ces hommes encore à la source de la Voie du Tambour qui avait bien voulu le recevoir en consultation. De cette séance, il n'en dira rien ; certaines choses ayant obligation de silence pour faire leur œuvre dans le secret de l’âme. Simplement dire que cette rencontre fut une confirmation, une validation sans aucun doute, de ce qu’avait maintenant le Voyageur à vivre et à faire. Avant, il avait un travail à faire, maintenant il avait une mission. Une mission pour laquelle il se sentait prêt. Difficultés de langues différentes obligent, il ne savait pas exactement ce que cet homme avait fait. Tout juste savait-il ce qu’il avait dit grâce à une interprète. En tout cas, il sentait que des chemins et des espaces jusque-là obstinément fermés s’étaient ouverts en lui. Et les connexions avec la pomme, puis avec la fée de la source, en étaient la matérialisation.
Et comme parfois, la Vie vous permet d’éprouver dans les faits ce qu’elle vous murmure avec son langage à elle, en cette semaine dans ces terres du sud-ouest qu’il aime tant, le Voyageur eut à maintes reprises l’occasion de mettre en pratique ce pour quoi il était dorénavant fait. Un apprentissage dont le principal obstacle était le doute…
La nuit suivant la rencontre avec la fée de la source, ou celle d’avant, il ne sait plus, le Voyageur fit un rêve. Il rêva qu’il était un enfant dans un monde en crise, peut-être en guerre. Sa famille avait disparu et il était seul. Un homme alors s’approchait de lui, lui tendant une sorte de livre-coffret à la couverture blanche avec dessus comme des lettres brodées à la main, et lui disait :
- Dans ce livre, tu trouveras tout ce qu’il faut, clés, indications… pour te rendre en un appartement que nous avons trouvé pour toi et dans lequel tu pourras te cacher en attendant que tout cela se termine. Tu y seras en sécurité.
Le livre était beau, le moment solennel et l’enfant qu’il était prit le livre, ce qui mit fin au rêve.
A son réveil, le Voyageur reçut un moment ce rêve comme expression d’une angoisse à la limite du cauchemar. Puis, en parlant et réfléchissant, il finit par en comprendre le sens : en ce monde fou et désordonné, un homme qu’il ne connaissait pas lui avait remis les clés d’un lieu dans lequel il ne craindrait plus rien. Non pas un lieu uniquement pour se protéger, mais aussi un lieu pour accomplir ce qu’il avait à faire, sans crainte, même si le prix à payer était un éloignement de sa "famille" d'origine. Un lieu secret protégé de la folie du monde. Et « on » avait fait ça pour lui, comme un cadeau d’entre les mondes pour l’aider et l’inciter à faire ce qu’il avait à faire sans risquer d’être affecté par cette folie-là. Un cadeau en somme. Comme les pommes. Un livre dans lequel serait consigné ce dont le Voyageur avait besoin de savoir pour vivre, avec les clés d’accès à l’intérieur. Une transmission d’entre les mondes et dont le rêve serait le messager…Sur la voie du Tambour tout est don et contre-don, abondance pour celui qui donne et qui reçoit…
Des pommes, une fée, une rencontre venue d'ailleurs, un rêve, un livre magique, la possibilité d'exercer ce qu'il a à faire... L'automne est une saison féconde pour ceux qui savent s'y installer...

03/10/2015

équinoxe

Cela était arrivé au Voyageur plusieurs fois : à chaque fois qu'il s'était retrouvé face à l'absolu évidence du merveilleux ou du miraculeux dans sa vie; il avait regimbé. C'est un paradoxe de l'être humain, qui aspire au merveilleux mais se refuse à y croire pour peu qu'il y soit confronté vraiment. On le sait prêt à croire à en effet à peu près n'importe quoi, mais lorsque arrive ce dont il a toujours rêvé il met alors en place tout un système de défenses, comme si l'important était de croire plutôt que de voir.
Comme conscient de la chose, ce qui se trame à notre insu a pourtant souvent l'obligeance de revenir par deux fois pour nous convaincre. Comme cette fois où après avoir battu les cartes du Tarot pendant plusieurs minutes, le Voyageur s'était retrouvé face à un jeu impeccablement rangé dans l'ordre numérique du 1 au 22. Sur le coup, il n'avait pas réussi à y croire, élaborant les hypothèses les plus improbables pour justifier la chose. Mais le lendemain, rebattant les cartes en faisant très attention à ce qu'il faisait, il s'était retrouvé à nouveau face à un jeu impeccablement classé, non pas du 1 au 22 -il faut savoir rester raisonnable-, mais du 6 au 22 ; ce qui est quand même là encore tout-à-fait improbable. Comme une façon de lui dire : bon d'accord, tu n'as pu y croire hier, mais là cette fois-ci tu ne pourras faire autrement.
Cette situation consistant à « ne pas vouloir croire à l'absolu évidence du miracle en attendant une preuve supplémentaire » lui était à nouveau arrivé il y a peu.
C'était un jour faste cumulant équinoxe d'automne et pleine lune, auxquelles s'ajoutait le lendemain une éclipse totale de lune. Le Voyageur était dans le royaume de l’Émerveillée en ses Terres, terres qui rarement avaient été aussi puissantes. Dernières profusions de l'été en ce début d'automne avant la plongée dans le noir blanchi de l'hiver, infinies variations des nuances de couleurs, été indien réchauffant pierres, bêtes et végétaux avant le froid à venir.
Était prévue le soir une rencontre de compagnonnage entre personnes sur la Voie du Tambour. Sur un terrain en esplanade de l'horizon avait été installé un cercle de pierres pour le grand feu du soir et le Voyageur en ce milieu d'après midi s'occupait à terminer l'installation du lieu en y apportant du bois. Il était prêt du cercle de pierres lorsqu'il entendit le premier cri. Reconnaissant un cri d'aigle, le cœur battant il leva la tête et vit alors, là, juste à la verticale du cercle de pierres TROIS aigles planant dans le ciel. Oui, pas un : trois ! Ils ont survolé le lieu, puis un est parti dans une direction et les deux autres dans une autre. Des aigles, le Voyageur en avait déjà vus, mais un seul à la fois ; pas trois...
Émerveillé, troublé, le Voyageur se sentit presque... déstabilisé. Cela était comme trop beau, trop évident, trop facile... Et pourtant le langage de la Vie à notre encontre est souvent simple. Une réunion sur la Voie du Tambour ? Elle envoie trois aigles en éclaireur comme une bénédiction de ce qui pourra s'y passer. Quoi de plus simple ?
Mais le Voyageur est un obtus malgré toutes les portes ouvertes en lui. Il ne se sentait pas d'accepter la chose dans sa simple évidence...
Là-dessus, les compagnons d'un soir se sont retrouvés autour du cercle de pierres et de son feu au milieu et se sont installés. C'était la toute fin de l'après-midi, la chaleur avait fait place en quelques instants à une fraîcheur obligeant aux pulls, et tous étaient déjà dans la magnificence et l'attente pleine et dense de ce moment de bascule sublime qui verrait à un coin de l'horizon le soleil se coucher dans sa flamboyance irradiescente, et de l'autre, énorme et basse sur l'horizon, la lune se lever. De là où ils étaient, ils pourraient voir les deux (1). Et c'est dans cette attente patiente et tranquille bercée par le chant du tambour qu'est arrivé le deuxième signe. A gauche du soleil se couchant, et alors qu'il n'avait pas plu depuis longtemps, un arc-en-ciel vertical est soudain apparu comme une preuve tangible de l'absolue évidence du miracle. « Oui, trois aigles sont bien venus cet après-midi et pour finir de te convaincre, o malheureux crédule sceptique, je t'offre cet arc-en-ciel »,
C'est à ce moment que ce qui restait de réserve et de doute dans le cœur du Voyageur s'est dissipé pour ainsi dire presque au même rythme que l'arc-en-ciel lui-même s'estompait, peu à peu englouti dans la rougeoyance du soleil couchant.
Dans le même temps, la lune est apparue, basse, énorme et ronde au-dessus des arbres, en ce jour où la longueur du jour était très exactement semblable à celle de la nuit. Plus tard, à l'ombre des confidences échangées on y verrait presque comme en plein jour.
Parfois, le Voyageur se disait que le travail qu'il lui revenait de faire pourrait peut-être se résumer à une seule chose : apprendre à accepter la présence des miracles au même titre qu'il acceptait la pluie qui tombe ou le soleil qui se couche. Car derrière cette acceptation, il y a la compréhension que tout est lié. Que les bête, les arbres, les herbes, les pierres et les âmes sont toutes reliées entre elles par un tissage dont nous ne percevons que quelques écheveaux épars s'effilochant au gré du vent...

11/08/2015

Un jour pas comme les autres

Photo : Sebastiao Salgado
Ce jour-là pour le Voyageur n'était pas un jour comme les autres, parce que ce jour-là, cela faisait très exactement un an, jour pour jour, que celle qui avait été la Tant Aimée était partie définitivement dans les contrées lointaines de ceux qui ne vous aiment plus.
Violent, abrupt, inenvisagé ; cela l'avait été, et même plus encore. Cela aurait pu le détruire (et il avait tant écrit dessus, qu'il n'avait pas trop envie d'y revenir) et comme tout le monde en ces circonstances il avait cherché alors des bouées de sauvetage auxquelles s'accrocher. Il en avait trouvées, bien plus nombreuses que prévu et, -bien plus que des bouées-, il avait aussi trouvé de nouveaux courants porteurs qui l'avaient déposé sur de nouveaux territoires inexplorés.
Mais sur le coup, cela avait été comme un accident de voiture. Juste avant tout va bien, et puis d'un coup, tout explose ; et, si l'on s'en sort, on se remémore ensuite pendant des jours et des nuits ce qui s'est passé, à quel moment cela aurait pu être évité, les gestes que nous n'avons pas faits, ceux que nous avons faits mais qui n'ont fait qu'aggraver la situation... Oui, pendant des jours et des nuits. Jusqu'à ce moment, miraculeux, où l'on décide de deux ou trois choses : un, constater que nous sommes vivants et que cela est un miracle ; deux, arrêter de vouloir comprendre le pourquoi du comment en acceptant qu'il y ait des choses qui puissent échapper à notre compréhension ; trois, décider qu'un tel accident ne peut advenir pour rien, et qu'obligatoirement il a eu lieu pour qu'il se passe quelque chose qui ne se serait pas passé sans lui.
Et le futur lui avait donné pleinement raison. Depuis, une autre flamme s'était allumée dans deux cœurs. Et puis, à l'occasion de ce séisme, s'étaient ouvertes en lui de grandes portes d'entrée par lesquelles la voie du Tambour avait pu faire son chemin, puissante et majestueuse.
Et sur ce chemin-là, la veille de cette journée anniversaire -l'être humain adore fixer des anniversaires pour tout-, une femme très ancienne et au faite de toutes les choses de l'amour, lui avait appris deux ou trois choses et lui en avait rappelé d'autres. 
-  « Oui, vois-tu, lui avait-elle dit, les grandes blessures d'amour doivent ouvrir le cœur, créer une béance, plutôt que de le fermer ; car c'est par là que rentre ensuite l'amour universel, inconditionnel. Tu as fait du chemin, une autre flamme s'est allumée depuis, mais il reste en toi un chagrin inconsolé. Et pour l'instant, tu dois vivre avec, car c'est par cette blessure qu'est entré, et continuera d'entrer, l'inenvisagé dans ta vie. Cette béance qui te fait si mal est aussi celle qui t'ouvre à nous, à la Voie du Tambour, à notre enseignement... Il faut donc que tu la remercies et pour cela, la meilleure manière est de poursuivre sur cette Voie du Tambour : la voie de la Présence, du Tambour et de l'Amour. Le reste n'est pas important. Il ne peut y avoir de guérisseur et de guérison s'il n'y a pas la Présence et l'Amour... Ta blessure et ta douleur sont sacrées ! Car, en étant sensible, tu es... vivant ! Seuls les morts ne ressentent et ne pensent rien. Tour ce qui t'arrive, tout ce que tu ressens, penses, reçois, donnes, est l'occasion d'une expérience : celle d'être vivant ! Et nous sommes en vie, juste pour honorer le Vivant, pour honorer la Vie. La Vie est un perpétuel cadeau à elle-même ! » 
Une vie est une traversée et il faut en aborder chaque instant comme un capitaine de bateau en territoire inconnu. Un jour mer trop calme, un autre une tempête, et à chaque fois .passer, traverser, avancer, attendre... stable sur ses jambes, l'esprit libre de saisir toutes les éventualités possibles. Et nos blessures comme zone de buvard pour se remplir du Monde... 
Plus tard, après une longue marche, sur la Voie du Tambour, le Voyageur reçut un dernier cadeau pour ce jour. Un vieil homme qui lui a expliqué -et fait ressentir dans la moindre de ses cellules- que tout était une seule et même conscience. Que tout résonne en elle, du plus petit acte au plus gigantesque. Que tout est lié en elle. Le pas du crabe sur la plage, l’irruption d'un volcan.. Tout résonne en elle, parce qu'elle est le moindre atome et parce qu'elle est dans le moindre atome ! Nous sommes dans cette conscience et nous sommes cette conscience. Nous sommes comme une bouteille d'eau ouverte plongée dans l'océan. Nous sommes à la fois la bouteille et l'océan. Le Un et le Tout.. 
Un an ce soir, oui, un an. Honorons nos blessures. Si elles ne nous brûlent pas le cœur, elles nous l'élargissent. Et quand le cœur s'élargit, l'âme respire pour autant. Et tout ce que nous élargissons en nous, résonne dans le monde. Aucun acte, aucun geste, aucune pensée qui n'aient pas d'échos. Tout interfère avec tout. Nous sommes Conscience et dans cette immensité, nos peines de cœur, nos manques, nos empêchements, nos peurs, nos maladies, nos chagrins, nos rêves, nos colères, nos forces, nos faiblesses sont comme autant de particules, autant de murs et de promesses, qui font vibrer le monde comme il va... 
Un an, jour pour jour. Le 11 août. Tous les ans. Le 11 août. J'honorerai la blessure qui m'a fait...

22/06/2015

Passé la frontière...

Gustave Doré - Contes de Perrault
Le monde est habité de présences que nous ne percevons pas ; et je ne tenterai pas d’en convaincre qui que ce soit, moi-même il y a encore peu ayant été fort peu sensible à ce genre d’affirmation. Convaincre, donc ; non. Mais laisser à percevoir ou à ressentir ; oui. Même si tu n’appelles pas cela « présences », mais « inspiration, ou « évocations ».
J’écris moins sur ce blog, parce que je suis entré de plein pied en des territoires où, ne serait-ce que témoigner, sans que l’on te prenne pour un dingue, est difficile. Je fais le chemin que j’ai à faire. J’apprends, sans cesse, et ai organisé ma vie autant que faire se peut afin de me rendre disponible à cet apprentissage.
Et puisque j’ai écrit les mots « d’inspiration » et « d’évocation », cela m’amène à parler du conte. Je l’ai déjà dit : les contes (au moins les merveilleux), les mythes et les légendes, sont les survivances au-delà du temps des premiers voyages chamaniques. Un jour, si j’ai le temps et l’envie, écrirai-je un livre à ce sujet avec force démonstration à l’appui. Après chaque voyage du chamane, il est très probable d’imaginer que l’assistance lui demandait de « raconter » ce qu’il avait vu et vécu, et qu’au fil du temps, certains de ces récits se soient cristallisés en des histoires transmises ensuite de générations en générations. Ces histoires sont donc porteuses d’autres choses que ce qu’elles semblent raconter. Parce que, si on les transfère dans une culture chamanique dans laquelle chaque chose à un esprit, ces histoires ne parlent que de ça. S’il était question d’un cerf dans une histoire, par exemple, il ne s’agissait pas que de l’animal mais aussi de « l’esprit » du cerf, de l’esprit de « l’espèce-cerf ». Et les esprits dans ces cultures-là sont des principes agissants (et O combien !) et non de simples vues de l’esprit. Ainsi dans ces contes dits merveilleux, sans que nous ne le sachions vraiment, il n’est question que « d’esprits » et de voyages initiatiques dans lesquels, végétal, animal, minéral, cosmos et humain échangent et interagissent entre eux sur un même niveau de compréhension. C’était en des temps où l’homme inscrivait sa présence dans une cosmologie dans laquelle tout était relié et dans laquelle l’homme remerciait bien plus qu’il ne prenait. Des temps, où l’on savait que l’esprit des êtres et des choses pouvait soigner et où -par exemple- les directions cardinales ou les quatre éléments étaient autant de présences qu’il convenait d’honorer, ne serait-ce que parce qu’ils pouvaient soigner.
Nous avons perdu cela. Nous l’avons remplacé par une autre approche du monde qui a produit de grandes choses bonnes pour le vivant et l’âme, mais aussi des catastrophes sans doute irrémédiables et d’insondables souffrances. Car en perdant la reliance au monde, nous avons découvert la solitude, le mal-être, le doute, la peur et tout est devenu sans signification, si ce n’est celle que notre mental parvient à élaborer. Et cela ne suffit pas, simplement parce que nous sommes bien plus que cela. Perdus, esseulés, coupés de tout, nous sommes entrés dans une spirale infernale basée sur le manque et sur le besoin de s’approprier et de dominer même ce qui n’aurait pas dû l’être. Nous sommes devenus des voraces, des boulimiques de tout, prenant encore et encore sans jamais pouvoir étancher notre faim, devenant une sorte de mutant, certes perfectionné mais dans un manque de paix et d’amour qui nous rend fous (ainsi en va-t-il de tous les monstres !) et nous condamnent à des comportements déments, au vu de la simple logique du vivant…
Par exemple, l’autre jour, suis-je passé dans un centre commercial dans lequel on faisait des travaux et où l’on arrachait des arbustes et des arbres au tractopelle. Et ce qui m’a marqué, ce n’est pas le fait que nous fassions cela (après tout, l’homme a bien aussi le droit d’arranger ses espaces), mais le peu de délicatesse avec laquelle cela était fait. De même pour l’abattage des bêtes. Oui, il est possible de manger de la viande et donc de tuer, mais par pitié, faisons en sorte de le faire avec bienveillance et non à la chaîne dans des conditions proches de la torture. Tout cela n’est rendu possible que par le fait que nous avons perdu cette reliance au vivant. Que nous avons oublié que tout ce qui vit est ontologiquement de même nature et qu’il existe des niveaux de réalité dans lesquels tout cela communique.
On dit souvent à ceux qui tiennent ce genre ce propos : « délires farfelus, rien de prouvable là-dedans ! ». Oui, bien sûr. Mais retournons le raisonnement en affirmant que ce que nous appelons « réalité tangible et ordinaire » -et qui existe bel et bien, n’est peut-être qu’une autre transe qui nous accapare au détriment d’une autre. Nous avons dans cette transe élaboré des outils merveilleux basés sur le raisonnement et la cohérence logique, mais qui ne fonctionnent plus dans d’autres états de transe qui sont pourtant quand on les a expérimentés, tout autant réels que les autres.
Il se trouve, que les contes sont à la charnière de ces mondes. Ils en sont le passage. Et comme tout conteur j’ai longtemps pratiqué, et enseigné, que le conte était avant tout un art de l’évocation. Ce ce que j’élargis aujourd’hui, en affirmant que certes, le conte est bien un art de l’évocation et de la suggestion, mais qu’il est aussi -et avant tout- un art de la convocation.
Qu’est-ce à dire ? Que de par l’origine très probablement chamanique des contes merveilleux, des mythes et des légendes, c’est, qu’à son insu, le conteur convoque en effets des « présences ». Et que, que l’on y croit ou que l’on y croit pas, ces « présences » sont là si le conteur fait bien son travail. Ainsi, la question qu’un conteur devrait se poser, c’est : qu’est-ce que je souhaite convoquer en racontant ? Au-delà de l’évocation, y aurait-il invocation ? Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de faire du conte une nouvelle religion ou un nouveau mysticisme. Le conte se présente sous une forme d’une simplicité quasi miraculeuse et c’est pour cela qu’il touche si facilement : parce que du coup, on ne s’en méfie pas… Il parle le langage de l’âme et du cœur et ainsi, entre-t-il profondément en nous, venant nourrir ce qui a besoin de l’être. Mais en tant que conteur, nous avons une responsabilité : celle de nous interroger sur l’art que nous pratiquons. Et il me paraîtrait inconvenant, qu’à la condition que nous racontions le répertoire dont il est question ici, (il est évident que les problématiques ne sont pas tout à fait les mêmes concernant les contes facétieux ou les récits de vie) nous ne le fassions pas et que nous ne tentions pas, un peu, de pousser nos propres murs pour aller y chercher des significations et des résonances plus profondes.
En tant que conteur du merveilleux qu’est-ce que je contribue à activer ce faisant ? D’où vient parfois cette grâce qui semble saisir toute une assemblée ? Dans quelle généalogie de l’esprit j’inscris les contes que je raconte ?
A ces questions, je répondais il y a peu encore, et entre autre, par Jung, l’inconscient collectif, l’anima et l’animus, etc… Étant maintenant entré de plein pied (et de pleine âme si j’ose dire) dans la Voie du Tambour, je répondrai différemment.
Je dirais qu’en racontant ces récits, le conteur convoque des « présences » qui vivent dorénavant aux lisières de notre monde, après en avoir été chassées plus par désintérêt des uns et des autres que par réelle volonté de s’en débarrasser. Et qu’ainsi, le conteur réactive une union oubliée, replaçant l’auditeur, les histoires, le conteur et ces « présences » en un cercle qui n’aurait jamais dû être défait et dont nous portons en nous la cicatrice inconsolable de la perte.
Le conteur, quoi qu’il en pense exerce donc de fait et tout en l’ignorant une fonction chamanique… Et les récits des premiers temps regorgent d’histoires dans lesquelles il est dit que lorsque les histoires sont bien racontées « elles ont le pouvoir de transformer les bêtes en homme véritable. ». C’est-à-dire d’éveiller en nous notre humanité la plus profonde, en venant réveiller cette connexion à tout ce qui vit et dans tous les mondes explorables. Oui, les histoires ont (sont) des « pouvoirs » (et curieuse civilisation qui a fait de ce terme un synonyme d’emprise sur l’autre, alors qu’il s’agit ici d’un potentiel d’action sur le monde). Pouvoir de réunir ce qui a été défait, pouvoir de guérir (car oui, je le pense, certaines histoires peuvent guérir l’âme tout autant qu’un médicament le fait d’une maladie), pouvoir d’éveiller en nous des savoirs enfouis, pouvoir de faire revenir vers nous et en nous des présences qui nous avons repoussées dans les limbes…
S'impose alors une question :
- Oui, bon d'accord, mais si l'on n'est pas sur la Voie dont tu parles, comment pouvons-on, nous conteurs, envisager ce travail ?
A laquelle une réponse vient en écho :
- O, de façon très simple ! En se questionnant sur la manière avec laquelle nous sommes habités par les personnages et les lieux que nous racontons. Il est dit ici « personnages » et « lieux », mais nous pourrions aussi parler « d'esprits » et « d'esprits de lieux ». Ce n'est pas bien sûr tout à fait la même chose, mais c'est une approche. Par qui et par quoi suis-je habité quand je conte ? Comment vit tout ce monde en moi ? Certains conteurs, à les entendre, sont aussi vides de présences qu'un canyon abandonné, alors qu'il nous semble entendre chez d'autres tout une symphonie chorale dans laquelle semble chanter toutes les âmes du monde. Ceux-là, oui, sont de grands « convocateurs » !
Pour terminer, je vais te raconter une histoire que j’ai vécue moi-même. C’était au cours d’un stage sur la Voie du Tambour au cours d’un rituel que je nommerai « rituel de guérison ». Je ne vais pas entrer dans les détails car certaines choses n’opèrent que dans le mystère du cœur.
En tout cas, j’ai souvent parlé sur ce blog de l’histoire du rabbin de Vienne, racontée par Christiane Singer (tu la trouveras ici ) Je la raconte aussi dans un de mes spectacles. Il y est question d’un vieux rabbin qui, pour soigner le monde et pouvoir mourir tranquillement décide de faire disparaître toute trace de sa souffrance en ce monde. Et pour ce faire, il se rend sur un pont de son sa ville natale sur lequel il retrouve l’enfant qu'il a été, apeuré et molesté presque jusqu’à la mort par des nazis, il y a de cela longtemps. Il le console, le rassure, puis repart avec lui. Et ainsi n’y a-t-il sur cette terre « plus aucune trace de sa souffrance ». C’est une histoire ; une belle histoire (et qui, je crois, est authentique).
Et bien vois-tu, ce travail, je l’ai fait. Presque le même. J’ai rencontré cet enfant apeuré comme si il était aussi réel que le clavier sur lequel j’écris ce texte. C’était un travail où bien des « esprits » étaient présents. Et vois-tu, moi aussi, je suis maintenant guéri de cette blessure-là. Je croyais raconter une belle histoire, alors que je racontais un rituel de guérison. Et cette histoire vois-tu, je ne la raconterai plus jamais pareil, parce maintenant, je sais les présences qu’elle convoque… 

10/05/2015

En nos forêts intérieures

Un matin tôt, sortant pour partir au travail, il avait senti pour la première fois l'odeur de pins embaumant l'air. Et le soir en rentrant, il avait été accueilli par des odeurs de tilleul et de lilas exhalant un printemps qui pourtant n'en finissait pas d'arriver. Un peu avant, à à peine deux cents mètres de chez lui, il avait aperçu, juste à l'entrée de la ville, une harde de sangliers traversant la route. 
Ainsi, habitant depuis peu tout près d'une grande forêt, il avait découvert à quel point la présence de celle-ci changeait même la vibration de l'air. Il se sentait protégé par elle, comme si le brouhaha du monde se trouvait filtré par l'imposante frontière végétale qu'elle développait. 
Allant s'y promener, et sentant si fortement cette communauté végétale l'entourant, il s'était rendu compte, imaginant le système racinaire et en apercevant une toute petite partie affleurant au niveau du sol, qu'à bien y réfléchir, on ne marchait pas que dans la forêt, on y marchait aussi dessus. Peu à peu, sentant les racines sous ses pieds, ressentant physiquement l'énergie fulgurante contenue dans les troncs, se perdant en esprit dans les frondaisons en imaginant le soleil capté par les feuilles et toutes cette extraordinaire machinerie nommée photosynthèse, percevant les flux et reflux à l'intérieur des arbres, ces marées de sève montantes et descendantes ; il s'était dit que mieux vaudrait remplacer l'expression "aller marcher dans la forêt" par "aller prendre un bain d'arbres". Et ces bains d'arbres le ressourçaient. 
Il avait grandi dans une civilisation qui lui avait appris les arbres comme de simples morceaux de bois. Tout juste y appréciait-on la possibilité de s'y mettre à l'ombre les jours de grandes chaleurs. Il savait maintenant qu'ils étaient de grands maîtres dans l'art de vivre et des présences attentionnées et respectueuses. Des maîtres en guérison. Il savait aussi qu'une forêt est une extraordinaire communauté, et dans doute un des écosystèmes les plus riches que l'on connaisse. Il avait pris goût, habitant tout près, à s'y rendre la nuit, et c'était un autre monde alors qui se dévoilait. Un royaume caché à quelques mètres de chez nous. Une expérience sensorielle parfois effrayante aux citadins peu habitués que nous sommes ; mais aussi une immersion physique et psychique dans un univers où tout vibre, où tout palpite et où tout parle. Le silence du végétal n'étant qu'une chimère, le paradoxe étant que pour l'entendre, il nous revient de faire silence en nos fors intérieurs. Et il lui plaisait de savoir que "for" et "forêt" avaient, par d'obscures et complexes liens de causalité, la même étymologie. 
Oui, en forêt, tout parle et tout résonne. Là où trop ne perçoivent que des morceaux de bois ou de simples terrains de jeux, la forêt est le lieu de tous les enseignements. Y entrer, c'est entrer dans un territoire qui n'est plus le nôtre de prime abord, mais qui pourtant résonne et échange avec la moindre de nos cellules pour peu que nous fassions paix et silence. Il nous revient d'apprendre à entendre les conciliabules nocturnes des forêts préservées de nous. Il ne faudrait abattre un arbre que contraint et forcé et ne jamais le faire sans son autorisation, car ils sont frères de nous en tant de choses qu'en abattre un revient à s'amputer d'une part de nous que nous méconnaissons mais qui est pourtant là, inscrite au plus profond de nos cellules. 
De toutes ces promenades, de tous ces voyages sur le chemin du Tambour, il avait entre autre chose appris que les arbres, les plantes, les pierres, les sources, la terre, le bois, l'eau, les animaux, le vent... pouvaient avoir sur nous un extraordinaire pouvoir de guérison. Non pas tant par les composés chimiques que l'on peut y trouver, mais par le miracle de leur simple présence. 
Ainsi, savait-il que se connecter à un arbre, s'y connecter vraiment en le touchant d'une partie de notre corps, pouvait nous purifier de l'intérieur, nous ressourcer et nous ré-ancrer pleinement dans l'authentique puissance de notre présence au monde. Il avait appris, par exemple, à nettoyer son cœur lorsqu'il était trop lourd de nuages noirs et épais, en posant sa poitrine contre un arbre.  
C'était là encore un autre merveilleux miracle qu'il avait découvert : le fait que la présence, la simple présence, peut guérir. Non pas la simple existence matérielle d'un être ou d'une chose, mais la qualité d'être de ceux-ci. La présence juste et profonde d'un être humain (il pensait vraiment qu'à un certain niveau d'accomplissement la simple présence d'un homme ou d'une femme pouvait guérir), la présence d'un arbre, d'une forêt... Se connecter au vivant, s'y connecter vraiment, peut avoir valeur curative, car alors nous rejoignons notre matrice originelle, notre monde ontologique, notre énergie fondamentale. 
Vivant là, au plus près de cette matrice énergétique de la grande forêt, poursuivant ses voyages sur le chemin du Tambour, il était entré dans un monde qui exigeait de lui de se mettre en situation de pouvoir recevoir les merveilles qui lui étaient offertes. Il était donc dans ce travail de nettoyage, presque d'ascèse. Il nettoyait ses filtres, ses prismes et ses antennes -atome par atome, cellule par cellule- ; sachant qu'à un moment, les mots pour dire tout cela deviendraient peut-être difficiles à trouver. Alors, sans doute, la simple présence prendrait le relais. 
Les arbres étaient devenus pour lui comme des membres de sa famille. Il savait aussi qu'il était sur un chemin de guérisseur dont les modalités lui étaient dispensées mois après mois. Une sorte de médecine holistique visant à reconnecter chacun à sa source profonde. Et pour l'heure, il faisait ce travail sur lui-même... 

24/12/2014

Le dît de la Baleine pour un jour de Noël

Photo : Gregory Colbert
Ceux qui Savent lui avaient parlé de la lagune. Il lui avait dit qu’à certaines périodes de l’année, à l’occasion du solstice d’hiver principalement, il était possible de La rencontrer. Ils disaient que nombreux étaient ceux qui avaient essayé mais que rares étaient ceux à y être parvenus. Ils lui avaient dit d’y aller seul et après plusieurs jours de retraite hors du monde des hommes, à écouter les bruits de la nature et à se bercer de la lenteur du monde.
Il avait donc passé six jours et six nuits à vagabonder du côté de la lagune, vivant de pêche et de quelques baies et racines ramassées, dormant près d’un feu rudimentaire et passant ses jours et ses tombées de nuit à regarder l’horizon de la lagune, écoutant le vent, les vagues, et parfois au loin, les chants orphiques des Grandes Migratrices.
A l’aube du septième jour, juste avant que les couleurs n’apparaissent, il était monté à bord de son embarcation, avait revêtu sa combinaison de plongée et se mouvant juste à la force de la pagaie s’était dirigé vers le centre de la lagune. C’était un matin blanc de silence et même le vent était encore couché. Serait-elle là ? Il n’aurait pu le dire. Personne ne le savait jamais à l’avance, il essayait juste de ne pas prendre de décision personnelle et de se laisser mouvoir par une intuition qu’il ne maitrisait pas.
Parvenu au centre de la lagune, dans cette aube de premier matin du monde nimbé d’un silence de diamant, il s’est arrêté et a attendu. Longtemps. A un moment déchirant le silence, le cri d’une mouette lui a fait lever les yeux vers le ciel, et c’est lorsqu’il a rebaissé la tête qu’il a vu à une dizaine de mètres l’eau s’agiter, tourbillonner, et qu’elle a surgi telle une apparition mythologique. Elle devait être très âgée au vue de tous les organismes fixés sur sa peau et aux traces de blessures visibles sur son corps. Elle était immense, et les vagues soulevées par ses déplacements faisaient tituber la barque comme un bouchon de liège. Ses geysers d’eau et d’air propulsaient vers le ciel de fines gouttelettes qui retombaient en pluie fine sur son visage. Délicatement, il s’est approché du bord de la barque et s’est laissé glisser dans l’eau relié à elle par un long fil invisible ; puis il s’est mis à nager, doucement et sans à-coups. A nager vers Elle.
Ce qui s’est passé ensuite comment pourrait-il le dire ? Comment elle s’est laissé approcher, comment il a plongé profond, la suivant, fluide dans ses mouvements. Comment peu à peu, au fur-et-à-mesure qu’ils plongeaient et remontaient vers la surface en ce ballet à deux sans fin, la profondeur du ciel –peu à peu étoilé contre toute logique humaine- s’est peu à peu mêlée aux bleus profonds des abysses ne formant bientôt plus qu’un seul élément matriciel d’un bleu sombre et profond dans lequel, lui ; le Voyageur, et Elle la Grande Migratrice ; ne faisaient plus qu’un dans un mouvement synchrone et fluide. Elle a alors approché son visage du sien, suffisamment près pour qu’il puisse voir dans son œil profond une bienveillance infinie, et elle lui a parlé :
- Je suis la Conscience du monde et tu fais partie de cette conscience-là. L’univers a une conscience globale ; chaque conscience individuelle est reliée à cette conscience plus grande. Si tu restes centré sur tes problèmes personnels et strictement personnels, tu perds le contact avec elle. Tu te demandes, n’est-ce pas, comment te relier à cette conscience globale ? Et bien, c’est très simple : en t’y baignant ! Elle ne se comprend pas par l’intellect ; elle ne se cherche pas par la volonté ; il faut juste s’y baigner. C’est une intention. Etre vigilant à ce qui nous échappe, à ce qui s’échappe.
Cette conscience universelle est faite d’amour. Vous les hommes, avez inventé les barrières et les séparations. Tout être vivant est relié à cette conscience : les chats, les souris, les arbres,  et même les insectes… Quand on se connecte à cette conscience-là, on peut donc se connecter à tous les êtres vivants, où qu’ils soient. C’est un espace, un continuum, qui échappent à notre conscience individuelle alors que toutes les choses y sont reliées : tout être, toute chose est relié dans cet espace de conscience-là ; au-delà de toi.
Se relier à cette matrice-là - puisque c’en est une- c’est se relier à l’infini des êtres et des choses quel que soit leur emplacement dans l’espacer physique. C’est un champ d’énergie, dans et par lequel, tout est relié.
Il conviendra que tu fasses des exercices en demandant de te relier à cette conscience-là. Et d’ailleurs, le Tarot que tu pratiques s’inscrit dans cet espace-là. C’est dorénavant ton travail. Et puisque ta mission est désormais de guérir les êtres des blessures de l’âme et de certaines blessures du corps, je vais t’enseigner comment soigner avec tes mains et quelques autres choses…
Et là, dans cet espace flottant entre eau et ciel profonds, Elle lui a transmis quelques secrets oubliés ou perdus dans le silence des âmes se murmurant l’une à l’autre. Et de tout ce qu’il a reçu, il ne pourrait tout dire. Juste peut-être, cette boutade comme un mantra prosaïque : « le joyeux, c’est le joyau ! ».
Plus tard, sans qu’il ne comprenne bien comment, il s’est retrouvé dans sa barque devenue une sorte de pirogue effilée, qu’il manœuvrait debout à l’arrière s’appuyant sur une longue gaule. Il n’y avait plus d’eau, juste un espace infini dans lequel il flottait, lui et sa barque, ombres blanches se découpant dans l’immensité du ciel et se dirigeant vers le soleil qui lui apparut soudain alors sous la forme de l’arcane du Soleil dans le Tarot de Marseille et qui lui dit :
- Oui, je suis le Soleil. Moi aussi je suis relié à toute chose et je nourris toute chose. Chaque être vivant est protégé par moi et nourri de mes rayons, de mes photos et de tout ce que j’envoie. Chaque arbre me chérit. Je suis lumière pure et il revient à chacun de se laisser toucher par ces boules de lumière qui descendent vers vous. Elles sont plus que de la lumière. Elles sont de l’information, de la conscience universelle ; donc, de l’amour. Ces deux êtres-là (les deux personnages sur la carte) ont fait un long chemin. Ils sont fatigués et d’un coup découvrent l’amour universel. Ils découvrent qu’ils en sont baignés, littéralement baignés. Qu’ils nagent dedans, qu’ils s’y baignent. Ce champ de conscience-là, ce champ d’amour est invisible aux yeux et à vos machines, et pourtant, il existe. Oui, tu peux revenir me voir avec ta barque. Oui, tu peux…
Plus tard, bien plus tard, le Voyageur de la lagune est revenu sur la terre des hommes après avoir promis à Celle qui lui avait parlé de la Conscience du Monde qu’il reviendrait la voir pour d’autres enseignements. Dans ses mains, il sentait une sorte de lumière dorée circuler et il était impatient de la redonner au monde.
Dans la nuit qui suivit, il fit un rêve. Il rêvait qu’il marchait dans une forêt qu’il ne connaissait pas. Il avait neigé et il était perdu. Lorsque soudain, il a su. Su que bien que ne connaissant pas cette forêt, il savait parfaitement s’y repérer et retrouver le chemin du retour. Qu’une part de lui connaissait le moindre arbre, la moindre trace d’oiseau sur la neige, la moindre piste de chevreuil ; et ce rêve qu’il faisait lui semblait avoir la force d’un rêve de vision lui disant qu’il ne se perdrait plus jamais, pour peu qu’il se relie à l’œil de la Baleine et à ce qu’elle avait commencé à lui apprendre…

15/12/2014

Le Dit de nos blessures et de nos murmures comme des chants d'oiseaux

Photo : Floriana Barbu
Une nuit récente, le Voyageur a fait un rêve. Il a rêvé que dans un couloir de métro il y avait une femme qu’il connaissait et qui était assise, désemparée, des valises à côté d’elle, visiblement à la rue. Elle lui disait :
- Depuis que tu m’as quittée, je suis perdue, je ne sais plus où aller, je me sens abandonnée, je n’ai plus de ressources, plus d’envie de vivre, je n’ai plus de lieu...
Elle se levait, s’approchait de lui, se blottissait dans ses bras et ajoutait en larmes :
- Tu es trop fort pour moi, trop fort pour moi !
Quelques jours après ce rêve, questionnées à son propos, les Voix apportées par le Tambour lui ont dit :
« Parce que nous sommes toutes les parties de ce que nous rêvons, comme un puzzle sans fin aux innombrables pièces, cette femme abandonnée représente ta part vulnérable : tes peurs, tes angoisses, tes fragilités, ton maque de confiance en toi, tes ombres, tes blessures… qui se sentent reléguées, depuis que tu danses avec ta puissance de vie. Et parce que nos blessures et le cortège qui les accompagnent sont autant d’étapes initiatiques, elles ne sont pas des choses dont il faut se débarrasser n’importe comment. Il ne faut pas leur dire : va-t’en ! Il faut les accompagner. Tes peurs, tes secrets, sont un moyen de connaissance ; il faut donc les respecter, ne pas leur dire : « partez ! » sitôt qu’elles arrivent. Et lorsque, grâce à elles, tu as trouvé ce dont tu avais besoin, ne les relègue pas, mais aide-les à rejoindre les lumières qui dorénavant t’accompagnent. C’est comme cela que ça se passe au niveau du Cœur et de la psyché. Tu as en toi des parts d’enfance blessées, tu te dois de les voir, de les accompagner et de les mener vers la lumière… C’est cela le secret, c’est cela…
Ne profite pas de la puissance intérieure à laquelle tu t’es enfin connectée pour les abandonner, car alors, tu crées un écho sans fin qui reviendra un jour où l’autre. Les seules blessures qui vaillent ne sont pas les blessures niées et envoyées de l’autre côté de l’enfer, mais celles qui ont rejoint, naturellement ta part de lumière. Tant que ce travail n’est pas fait, subsistent encore des irrésolus, des non-libérés qui reviendront te hanter.
Chaque blessure conscientisée est une chance. C’est cela le Voyage du Héros. Les épreuves qu’il rencontre sont ses blessures intérieures et ses peurs les plus profondes. Alors, il travaille avec elles, il les affronte, il les apprivoise, il les dompte, il les transforme ; ainsi d’étapes en étapes, comme un parcours infini à refaire encore et encore, jusqu’à la nuit des temps. Et à chaque étape passée, alors son chemin s’élargit, ses épaules se redressent, il s’allège de ses poids, de ses conditionnements, de ses empêchements. Et, jour après jour, nuit après nuit, il grandit, captant un peu plus de l’immensité du monde, élargissant ses paysages intérieurs, se dépouillant de l’inutile.
Le Voyage du Héros, c’est l’aventure de la conscience en quête d’elle-même. C’est le travail de toute âme à s’accomplir, jusqu’à relier le Tout en une conscience unifiée, large et joyeuse. C’est là la finalité de toute vie humaine et donc de toute âme pour un temps incarnée.
Les 22 arcanes du Tarot sont autant d’étapes par lesquelles tout être passe obligatoirement pour accomplir ce travail. Chaque étape est potentiellement en elle-même tout autant une épreuve qu’un enseignement. Chaque Arcane semble demander :
- Qu’as-tu donc à apprendre en ce moment ? Quel enseignement as-tu besoin de recevoir ? Quelles épreuves as-tu à passer ?
Pour ce faire, le Héros en chemin - et tout être humain est un Héros en chemin à chaque seconde de sa vie- doit travailler sur, et avec, sa vie intérieure, sa vie sociale, sa vie émotionnelle, sa vie spirituelle, sa vie physiologique. Sur chacun de ces chemins, à chacune de ces étapes, il y a des questionnements, des doutes, des remugles, des retours… Il se doit de travailler avec cela, et alors il avance. Le Héros avance pour changer la situation qu’il a trouvée dans le monde, parce qu’il ne peut faire autrement et parce qu’il change lui-même.
Le Tarot est un chemin d’accomplissement de la conscience qui va du sujet vers le transpersonnel. Un jeu qui va du Je au Un en passant par le Tout. Un chemin de croissance, le récit d’une aventure dont chaque être est le Héros. Un miroir sans fin de nos joies, de nos égarements, de nos émerveillements, de nos immensités comme de nos petitesses. C’est pour cela aussi que sa polysémie est infinie.
Mais n’oublie pas : tes peurs, à un moment sont tes alliés. C’est difficile à comprendre, mais ce sont tes blessures qui t’enseignent. Alors, respecte-les et chemine avec elles jusqu’à ce qu’elles aient rejoint tes lumières et s’y soient fondues. »
Le Voyageur avait reçu ses paroles apportées par la Voix du Tambour. Quelques jours plus tard encore, lors d’un stage sur le Tarot, « Celle Qui a Transmis les Arcanes » avait demandé au Voyageur et à un de ses Frères de Tambour d’accompagner de leurs tambours un travail avec les arcanes. C’était une première en ces lieux et ce fut beau et profond. Une voix lui avait dit le matin-même sans qu’il n’en comprenne vraiment le sens, « que la vibration du Tambour était la même que celle du Tarot ». A un moment, les vingt-deux (22 !) personnes présentes travaillaient en binômes dans la profondeur de la Présence induite par les tambours, loin de tout bavardage social, pleinement présentes et murmurant ; centrées et concentrées. Inoccupé un moment, le Voyageur a alors fermé les yeux et ce qu’il a capté alors l’a bouleversé en le remplissant de joie.
Car alors, toutes ces voix et ces murmures lui sont apparus comme la bande son d’une forêt primaire avec son cortège de chants et de cris d’oiseaux s’élevant sous la canopée et chantant la simple joie d’être. Et c’était là un bien bel enseignement qui lui était offert : celui qui dit que lorsque les êtres humains acceptent de taire leurs babils intérieurs et de quitter leur monde pour les clairières originelles où l’âme alors travaille ; alors, leurs voix murmurées deviennent chants, retour à un originel que nous avons perdu. Et ces voix qui deviennent chants d’oiseaux, viennent alors se mailler avec la trame du monde et le tissu du vivant pour produire alors un chant unique qui est celui de la Vie-même. C’était beau profond et d’une innocence étonnante, aussi joyeux et profond qu’un ruisseau dans la montagne ou qu’une colonie d’oiseaux lançant leurs chants au petit jour.
C’est dans ces clairières-là que le Voyageur désormais se devait de vivre, et le Tambour l’y amenait, lui faisant suivre souvent le chemin du Tarot. Et ce qu’il découvrait le ravissait de jour en jour. Lui, le Voyageur, semblait enfin avoir trouvé ses clairières. Là où il se sentait pleinement vivant et où il se devait de mener tous ceux qui le voudraient…

27/11/2014

Les gens sont des légendes et leurs âmes prennent le maquis

Une lumière dans le ciel...
« Les gens sont des légendes et leurs âmes prennent le maquis. » (Alain Bashung)
Ainsi donc, chaque vie est une légende à vivre et à écrire qui nous incite -pour ne pas dire oblige- à révéler le héros qui est en nous.
L’existence humaine, les contes, les légendes et les voyages chamaniques ont ceci en commun qu’ils sont un voyage et une quête ; une suite d’épreuves, d’émerveillements, de cadeaux, de rencontres, de deuils, d’enseignements et de métamorphoses qui tous, nous enjoignent à accomplir ce qui doit l’être. Le héros, au départ personnage comme les autres, est celui qui peu à peu sait ne jamais se dérober à ce qu’il a à vivre. C’est en cela qu’il se révèle « autre »; dans l’acceptation confiante de ce qui lui arrive, dans sa capacité à triompher des obstacles les plus cruels et à trouver les ressources pour avancer. Ressources intérieures et recours à la magie du monde, à la force du vivant, à l’invisible parfois de ce qui nous entoure.
Ce chemin du héros c’est le chemin de l’âme. Le chemin par lequel l’âme est fécondée par un plus grand que soi que certains appellent « l’esprit », d’autres « dieu », d’autres encore autrement, mais peu importe. Jung l’appelait le « processus d’individuation », mais le conteur -cœur simple qu’il essaie d’être, lui préfère l’expression « chemin de l’âme ».
Les conteurs (en tout cas ceux qui s’inscrivent dans cet espace-là) et les chamanes, lorsqu’ils racontent ce qu’ils ont vu et vécu en voyage, sont comme des ventriloques (1) : ils parlent à la place de l’âme, que nous qui les écoutons, parfois, n’entendons plus depuis longtemps, ou par bribes éparses. Ils tiennent donc un propos que nous reconnaissons immédiatement mais qui est resté bien trop souvent informulé. Ils sont un écho de ce que nous avons perdu ou oublié ; ils font parler notre âme, et en les écoutant, c’est le reflet de nos propres profondeurs que nous retrouvons. C’est en cela que leur Parole est guérisseuse : parce qu’elle nous reconnecte à la dynamique de l’âme que nous avons perdue. Ils sont comme les voyageurs revenant de leur quête chargés de cristaux trouvés sur le chemin et qui les proposent à qui les veut sur les places de marché, sur les estrades ou dans l’intimité d’une rencontre. Parfois ceux qui les écoutent les acceptent émerveillés et les reçoivent avec gratitude, et parfois les refusent ; préférant voir de simples cailloux à la place du cristal, des boniments tout juste fait pour amuser ou pour tromper le chaland, des rêveries sans queue ni tête dont ils n’auraient pas besoin.
Il n’y a de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, et nous vivons –force est de le constater, dans une période sourde dans laquelle le bruit du monde est préféré à la voix de l’âme.
Conteurs, artistes, chamanes, chacun à leurs manières, sont les échos de ce que nous avons perdu. Ils nous renvoient à notre part manquante en nous disant :
- Écoute, regarde, sens. Elle existe. Ton âme existe et ne demande qu’à être nourrie. Elle te murmure ou t’enjoins à rejoindre ton propre chemin et non à errer sur des routes tracées par et pour d’autres. Elle te dit qu’en toi, un héros ou une héroïne est en sommeil et ne demande qu’à se réveiller. Elle te souffle que le monde est Merveille une fois dépassés les canyons du manque, du ressentiment, de la victimisation, de l’aveuglement, de la surdité organisée, des croyances toutes faites et imposées, de la désespérance exténuante, du cynisme désabusé comme parade illusoire… Elle t’appelle à trouver la force de te mettre en marche, à nourrir la graine de conscience que tu es, à la planter dans un bon terreau et non à l’enfouir au fond d’un pot pour ne plus avoir à y penser. Elle te demande de rouvrir ta capacité d’entendre pour enfin recevoir ces appeleurs d’âmes qui partout dans le monde témoignent de l’extraordinaire fécondité de notre chemin dès lors que nous acceptons de les entendre.
Parfois ils sont entendus, parfois ils parlent dans le désert. Mais si eux peuvent éventuellement faiblir –voire mourir ; l’appel de l’âme, lui ne meurt jamais. Même tue, l’âme ne meurt pas ; elle s’endort tout au plus en attendant que quelque chose vienne la réveiller pour qu’elle redevienne audible. Même peu fréquentés, les chemins intérieurs de l’aventure et de la quête attendent le voyageur. Et sur ces chemins-là c’est peu de dire la diversité et la magnificence des créatures, des voix, des enseignements, des paysages que l’on y côtoie.
En un monde hostile et froid, le voyageur se met en marche, et le héros qu’il devient en ramène des pépites d’or et des cristaux bleutés. Ils nous les ramènent : prenons-les… Polissons-y nos yeux, collons les à nos oreilles. Un chamane ou un conteur nous racontera alors ce qu’il a vu en nous murmurant :
- Oui, toi aussi tu peux…
Alors nous essayons, et quelque chose en nous guérit : notre âme enfin reconnue.
(1) : cette partie du texte est directement inspiré d’un passage du livre « Quête de vision, quête de sens », de Paule Lebrun (éditions Véga – Page 177 et suivantes)

18/11/2014

Homme-graine, toujours tu chériras la terre... et le ciel !

Ami, un jour peut-être, feras-tu l’expérience d’être graine. Tu te laisseras, toi Homme, tomber jusqu’à la terre, tu t’y enfouiras, percevant les odeurs, la terre contre ta peau, le froid, le chaud, l’humide… Tu t’y rouleras voluptueusement, tu rétréciras jusqu’à devenir un point minuscule, un germe, une graine. Peu à peu, la lumière disparaîtra. Tu feras connaissance alors avec l’obscurité de la terre, l’obscurité de l’enfoui ; là où la lumière ne passe plus ; privé de la vue et de l’ouïe, tu ne seras plus que surface de contact et d’échanges, membrane poreuse, puissance potentielle infinie. Tu te laisseras descendre de plus en plus profond et tu découvriras l’attente immobile, le temps qui passe en un infini qui s’étire. Tu n’auras plus d’égo, plus de volonté ; juste la force inextinguible du vivant qui n’a besoin que de croître envers et contre tout, que de retrouver le vent et la lumière, et puis de mourir pour redevenir graine, puis croissance à nouveau.
Alors, quand tu auras atteint ce point d’extrême concentration, quand tu ne seras plus que cette petite boule déposée au hasard du monde, tu découvriras quelque chose de stupéfiant. Tu découvriras que la graine sans son environnement n’est rien et n’a aucun avenir. Rien.
Oui, exactement : rien. Plus aucune promesse de devenir, plus aucun potentiel à réaliser. Car sans les nutriments qui la baignent, sans l’eau qui l’hydrate, sans cet écosystème extraordinairement complexe et élaboré au fil des siècles, la graine meurt. Elle ne peut exister que par ces milliers d’interactions avec son environnement qui la nourrissent et lui permettent de croître et d’amorcer sa poussée vers le haut. Elle ne peut croître que dans cette immersion matricielle qui la nourrit. Et veux-tu l’entendre ? Tout ce grandiose et petit monde se remercie depuis l’aube des temps et pour une éternité encore…
La graine, en partie, se décompose dans cette obscurité du monde. Il ne peut y avoir de gestation sans obscurité. La lumière viendra plus tard, comme une explosion chantant le passage vers un nouveau cycle, une nouvelle matrice, une métamorphose. Pour l’instant, la graine est encore sous terre, un germe déchire sa membrane comme une promesse en devenir, se meut vers le haut selon un savoir que nous ne connaissons pas encore. Et puis, enfin, la lumière ; à l’osmose noire avec la terre, au contact de membrane à terreau, succèdent le vent et la lumière. La graine ne perd pas son enracinement dans la terre ; elle ne le perdra jamais, même- et surtout- quand l’arbre qu’elle sera devenue pèsera plusieurs centaines de tonnes et touchera la cime du ciel. Simplement, désormais, elle sera de deux mondes : du monde de l’obscur et du compact et de celui de la lumière et du fluide ; vent, pluie et énergie du ciel. Et ces deux mondes-là, qui jusqu’au bout la nourriront sans fin, avant que morte ce qu’elle sera devenue ne les nourrisse à son tour, elle les réunira en une osmose jouissive, orgasmique, chantant la simple joie d’être et de vivre.
Entre les deux, comme un pont les reliant, la tige et puis le tronc. Solidité de ce qui soutient ; invisible de ce qui nourrit : lumière, sédiments, chlorophylle, chimie du vivant, physique de toute forme. La graine est potentiel dans l’invisible de l’obscur enfoui, poussée vers le haut d’une puissance inouïe, verticalité vers la lumière, souplesse s’abandonnant au vent. Elle est d’au moins trois mondes et des quatre éléments : air, terre, eau, feu.
Ce qu’elle est, ce qu’elle devient, pas une micro seconde ne sont, ne serait-ce qu’une seule fois, coupés de ce qui la baigne et la nourrit. Elle ne peut vivre qu’ainsi : reliée, immergée, imprégnée, baignée, traversée, irradiée, ondoyée…
Alors, toi Homme, devenu graine, puis germe, puis brindille fragile, puis arbre ; toi ayant refait en ta moindre cellule, ce processus universel ; percevant tes racines se déployant profond sous la voûte de tes pieds jusqu’au centre de la terre, sentant ton corps droit -pont entre terre et ciel, incarnant ta cime et tes branches en une exaltation de lumière reçue et dansant avec le vent jusqu’aux fin-fonds du ciel ; alors, tu comprendras. Tu comprendras ontologiquement, définitivement, que tu es dans ton monde d’homme comme graine dans la terre et arbre dans le ciel.
Que comme la graine nourrie de la terre qui l’enserre, tu respires par ta peau, que tout autour de toi : lumière, air, eau… te sont nourriture et nutriments pour grandir. Que tu es baigné et parcouru d’énergies venues du bas comme du très haut. Et que sans cet environnement que tu as méconnu presque toute ta vie, tu n’aurais aucune chance de survivre. Ainsi, es-tu interagi en permanence ; la vie qui est en toi, t’as été donnée et ce que tu appelles « je » n’y est absolument pour rien. Ton « je » a juste pour mission de faire prospérer et croître la graine qu’il représente afin que la vie dont il est dépositaire ait matière à réjouissances.
L’homme est pont entre ciel et terre ; il a besoin pour vivre tout autant de nutriments que de lumière. Il est un potentiel surgi de la terre pour bondir vers l’éternité du ciel. Certains disent qu’il a été déposé dans la matrice du corps par un principe plus grand que lui et qu’il ne connaît pas… Il est corps et lumière. Matière et particules. Il est une matrice de possibles, un athanor qui se doit d’apprendre à concilier terre et ciel en lui. Et plus il s’élève plus il doit s’ancrer. Et plus il s’ancre plus il se doit de s’élever. La Vie est croissance sans fin, dans toutes les directions et dans tous les possibles, et la conscience aussi. L’Homme se pense seul alors que tout autour de lui le nourrit et le porte. Il est immergé dans un océan d’amour et de dons auxquels il reste trop souvent et désespérément sourd.
Marchant, tu peux te sentir comme un nageur dans un océan de cadeaux qui le nourrissent. L’air que tu traverses, les énergies qui te rencontrent, sont comme la terre pour la graine ou l’eau pour la créature marine. Tu es relié au monde par l’air que tu respires, par l’eau que tu bois, par le légume ou la viande que tu manges, par le sol sur lequel tu poses tes pieds, et, d’un point de vue plus subtil, par tout un réseau d’intentions et de pensées qui un jour finissent par prendre corps.
Ainsi, peu à peu, la graine que tu es est-elle bouleversée de prendre conscience de l’infini de ce qui la porte et la nourrit, elle qui s’épuisait à se sentir si seule. Et se connectant à ce principe de dons reçus, elle peut enfin accomplir ce pour quoi elle est faite : croître, grandir, pousser vers la lumière et faire se rejoindre en un élan de vie l’obscurité du sol et la lumière du ciel… Elle, ce qui la baigne et quelques esprits bienveillants qui l’éclairent…
Et c’est peu de dire alors, à quel point de ce moment de bascule, la perception du monde et du vivant change. Chaque parcelle de terre, chaque arbre, chaque brin d’herbe, chaque particule de ciel, deviennent pierres précieuses et présences amies. La Terre-mère n’est plus un mot mais une compréhension profonde. Relié à eux, nourri d’eux, conscient de ta responsabilité d’honorer la vie qui t’a été donnée en partage, tu entres dans une autre dimension de l’âme et du cœur. Redevable de tout mais réceptacle de tous les miracles…

22/10/2014

Sortir du désert

Après le désert, le Voyageur était entré dans des contrées aux contours chatoyants. Dénudé, nettoyé, apuré, survivant ressuscité, il savait maintenant que pour qui sait les écouter, -même et surtout les traversées les plus sombres- étaient constellées, semées, habitées de voix amies qu’il suffit de suivre pour qu’elles nous guident.
Ainsi, savait-il désormais qu’il existe un lieu, un espace intérieur, un carrefour au croisement de plusieurs univers, au cœur duquel il est possible de danser –littéralement, avec la Vie. Lui qui avait passé presque toute sa vie à s’en sentir exclu, toujours en conflit avec ce qu’elle lui imposait ou lui refusait, savait désormais qu’il est possible de créer un chant commun avec elle. Qu’il existe un mode d’abandon, de prière et de don à partir duquel Elle et lui peuvent co-construire ensemble.
Ainsi, en quelques poignées de jours, la Vie lui avait-elle offert les présents les plus insensés, les plus inespérés et les plus magnifiquement bouleversants. Comme si après l’épreuve, nettoyé de tout, il était enfin à même de se reconnecter à la trame infinie du Vivant et qu’alors, au-delà de toute raison raisonnante, quelque chose se mettait alors à l’œuvre ; tissant, maillant, recousant, réunissant des morceaux de toiles déchirées pour en faire un tissu magnifique qui venait réchauffer ses frilosités les plus tremblantes.
Cela était passé par des retours surprenants dans des lieux géographiques d’un passé pas si lointain. Une revisite en accéléré d’étapes importantes de ces dernières années avant envol vers d’autres sphères, dans une dynamique de spirale sans fin. Cela était aussi passé par une rencontre placée pour ainsi dire sous le signe du surnaturel le plus déroutant et le plus poétiquement émouvant.
Lorsque soudain la Vie nous offre ce que nous avions espéré au creux de nos plus inavouables secrets, il y a deux solutions : regimber, reculer, en se disant que tout cela est trop beau pour être vrai ; ou bien alors plonger, accepter, se laisser guider tout en restant attentif à ses propres aveuglements, illusions, croyances limitantes. La Vie est toujours plus grande et plus forte que nous, et seules nos propres limitations la brident. Il faudrait pouvoir la vivre libérés de nos rétrécissements et sans doute est-ce là la dynamique profonde d’une conscience s’accomplissant : polir, dissoudre, élargir ce qui nous limite pour capter la Vie-même dans toute sa magnificence. Apprendre à vivre c’est dissoudre un entonnoir…
Une amie très chère lui avait fait remarquer qu’il avait une chose à apprendre : c’est que lui, conteur du merveilleux et enchanteur de mondes, par ses textes et tout ce qu’il partageait dans les différents registres de sa vie, devait apprendre à accepter que ce qu’il racontait et partageait inlassablement puisse se réaliser simplement dans sa vie personnelle. Qu’il avait lui aussi droit aux miracles, aux fées et aux métamorphoses ; lui qui y avait cru, un temps, avant qu’une bourrasque ne vienne d’abord tout emporter avant de finir par déposer un voile de merveilleux sur tout ce qui l’atteignait.
Le Voyageur apprenait donc à vivre, à trouver et à cultiver, ce lieu au cœur duquel la Vie danse avec soi. C’était féerique, intimidant mais bouleversant de beauté et de « saintes chronicités » renversantes.
Il avait traversé le désert. Une épreuve prenait fin. Il en sortait extraordinairement vivant et plus émerveillé que jamais.
Il savait depuis longtemps que d'un serrement de sa main, la Vie pouvait vous broyer le cœur ou vous envoyer vers des bonheurs indicibles. Il savait maintenant que presque toutes les souffrances qu'elle nous impose (il dit « presque » parce qu'il existe des souffrances qu'aucun humain ne peut supporter), derrière leur cruauté, sont là pour nous ramener à nous-mêmes. Comme une manière de remettre sur le chemin le voyageur égaré. Et il savait aussi, que pour peu que nous acceptions de jouer le jeu et que nous trouvions cet endroit de connexion vers tous les possibles, alors, elle pouvait nous offrir des miracles.
Hier, il a pris à nouveau le Tambour-cheval, puisque c'est par là que tous les fils convergent, Après le voyage, il a repris le tambour et l'a fait chanté, non pour voyager, mais simplement pour le faire chanter et résonner avec le vent, les arbres, les pierres et tout ce qui vit ; ici et dans les autres mondes. Parce que le Tambour est comme nous : il a besoin de chanter avec le monde. De manifester sa simple joie d'être...

27/09/2014

Renaître

  
Il y avait eu dans la vie du Voyageur beaucoup d’inaccompli, beaucoup d'amours perdus, beaucoup d'inachevé, beaucoup de conflits, beaucoup de choses bien commencées et mal finies... Et la situation -tout autant effrayante que fascinante- dans laquelle il se trouvait, l'obligeait à tout égard à trouver certaines réponses qui jusqu'alors n'avaient cessé de se dérober.
Ils étaient une douzaine dans cette salle, tout comme lui, voyageurs et chercheurs, arpenteurs de vérités, chercheurs d'or, explorateurs de contrées oubliées. « Celle qui Aide à passer entre les Mondes » avait alors chevauché le Cheval Tambour et tous étaient partis, à la recherche de bribes perdues et de passés oubliés, remontant tel des saumons au torrent, vers le lieu et le moment de leur origine et même un peu avant...
Oui, le Voyageur était remonté jusque là, car, oui, ce moment où quelque chose s'incarne dans un embryon existe vraiment...
Ainsi avait-il compris que la façon de chacun d'investir le monde et sa vie dépendait en grande partie de la manière avec laquelle il a été attendu, espéré, accueilli... Comment prendre toute sa dimension dans un monde qui ne vous attendait pas quand la rage même de s'imposer vous manque ? Comment construire en soi la confiance à vivre quand dès les premières secondes, quelque chose ne voulait pas ? Comment se sentir légitime quand dès le début nous étions déjà un embryon usurpateur, un non-désiré s'imposant envers et contre tout ?
S'inscrit alors en soi comme une matrice reproduisant à l'infini le même schème : « de toute façon, je n'ai pas ma place, je ne serai ni d'ici ni de là, je serai de nulle part, je briserai tout ce que j'ai installé, je ne mérite pas d'être aimé, et surtout, surtout, je ne me permettrai jamais de prendre mon plein essor, puisque je me dois de prendre le moins de place possible, moi l'usurpateur, le non voulu, le non accueilli... »
Heureusement, il existe des mondes où l'on répare pour nous ce qui a été défait et brisé. Et puisque dans la vie du Voyageur, les clairières sont les lieux de toutes les métamorphoses et de toutes les cérémonies réparatrices, il y eut donc la Clairière de la Femme-Jardin.
Il y régnait une lumière d'or pur, et en cette clairière, allongée sur le dos, jambes écartées, ventre rond de parturiente, reposait une femme géante faite de feuilles et de plantes. Une femme-jardin-végétale. Par son sexe, le voyageur entra de son plein gré et en toute confiance. Et lorsqu'il en sortit -enfin, tous étaient là riant et applaudissant : père, mère, esprits, guides, grands parents... l'accueillant enfin et à jamais et lui souhaitant la bienvenue en ce monde ; leur monde.
C'était comme une nouvelle naissance joyeuse et féconde, au cours de laquelle tout conspirait à un bonheur sans faille dans une lumière dorée de renaissance italienne.
Alors, ivre de vivre et d'amour, en cette clairière, le Voyageur entendit pour la première fois une voix qui lui murmurait :
- Le temps est venu pour toi dorénavant de trouver ta place en ce monde. Le Monde n'attend qu'une seule chose ; c'est que tu prennes ta place. La Vie attend avec impatience de voir, d'entendre, sentir et résonner ce que tu vas bien pouvoir faire désormais. Rien ne l'attriste plus et ne l'appauvrit plus qu'une vie humaine qui ne trouve pas sa juste mesure à vivre, parce qu'alors quelque chose meurt dans l'ordre immuable des choses. La seule chose que la Vie attende de toi est que tu vives pleinement dans l'expression de tous tes potentiels, et si tu veux la servir, tu as juste cela à faire... Ainsi es-tu né aujourd'hui pour de bon. Aujourd'hui ton âme est née au monde et a été accueillie comme elle aurait du l'être il y a maintenant bien longtemps... Attendu et accueilli par la Vie, tu pourras enfin t'y autoriser à exprimer tous tes potentiels. Tu n'as plus de peur à avoir, tu es légitime à vivre, légitime à être aimé, légitime à construire et à bâtir, légitime à trouver ta place...
Oui, une nouvelle vie commençait et le Voyageur en était maintenant certain : la psyché humaine ne fonctionne pas par la logique et la raison ; elle fonctionne par les symboles, la métaphore et les rituels. Pourquoi n'apprend-on donc pas cela à l'école ? Pourquoi ne nous apprend-on pas à remonter à notre origine ? Pourquoi nous coupe t-on de la Source ? Combien d'âmes mutilées et de cœurs malheureux ?
Une semaine plus tard, par une après-midi ensoleillé d'été indien, de sombres remugles lui remontaient à la surface, faits de chagrin, de colère, d'incompréhensions et d'une tristesse sans fond. Le Voyageur s'est alors surpris à une réflexion : celle de se dire que chaque remontée de boue venait lui nettoyer le cœur, comme un principe de bassin de décantation. Un peu comme ces bouillons de pot-au-feu que l'on écume à froid pour retirer le gras remonté à la surface, jusqu'à ce que le bouillon soit clair. Oui, du chagrin et de la douleur, il avait eu sa dose et il lui appartenait désormais de se purifier le cœur de ses miasmes. Chaque sombre remontée, progressivement, venant lui purifier le cœur.
« Le cœur est une coupe, on ne peut le remplir que lorsqu'il est vide », lui a t-on soufflé quelques heures auparavant. L'amour est une lumière parcourant le monde à la recherche de cœurs à remplir... Le cœur du Voyageur est encore bien noir et une lourde peur de l'amour s'y est installée, mais il apprend, en ces premiers jours de sa nouvelle naissance, à peu à peu le nettoyer... Un jour, la lumière y reviendra. En attendant, vivre... Et en cas de doutes, retourner dans la Clairière de la Femme-jardin...

13/09/2014

Les âmes-lucioles

Etty Hillesum
Plus la vie du Voyageur soufflait en vent contraire et plus ses voyages intérieurs étaient beaux.
Et quand certains postulent que la foi et la prière ne sont que le réconfort illusoire de ceux qui n'ont plus rien, il savait désormais que c'était très exactement l'inverse : le dénuement n'étant pas un vide cherchant compensation, mais une des conditions pour que foi et prière puissent enfin se déployer. Elles ne peuvent naître et éclore que dans le secret d'un cœur à nu. Ici, pas question de prières ressassées sans intention à l'infini, pas plus que d'un catéchisme appris par cœur. Ici, il est question d'une âme et d'un cœur qui, ensemble, s'inscrivent en un Tout plus grand qu'eux, et résonnent avec le monde en des échanges de dons et de réciprocités confiantes et mutuelles. La foi n'est, ni plus ni moins, qu'une confiance inconditionnelle en un meilleur à venir quelles que soient les contrariétés en cours. Une confiance tranquille. La prière, une relation de cœur à cœur avec le Monde.
En un mois le Voyageur avait fait le tour de toutes les désillusions, de toutes les déceptions, de toutes les cruautés et de bien des souffrances ; et dans le même temps, cette épreuve l'avait en quelque sorte révélé à lui-même et avait ouvert un espace béant de possibles dans lequel il avançait dorénavant. Le chagrin, après une histoire d'amour défaite, est proportionnel à l'intensité de cet amour perdu. La colère qui en résulte est en proportion de la souffrance vécue. Les compréhensions qui en découlent sont à l'aulne de ces peines pour peu que l'on veuille bien s'en donner la peine.
Tout est une question d'histoire que l'on se raconte.
Ainsi, après deux jours de pur cauchemar au cours desquels toutes les étapes et espoirs (en terme de travail, de logement, de processus de guérison) sur lesquels il avait misé s'étaient vus disparaître, le Voyageur, exsangue, ne savait plus quoi faire. Le logement espéré ne marchait pas, un espoir d'évolution professionnelle avec augmentation à la clé ne verrait jamais le jour (il y apprit entre autre à cette occasion que sa propension à poser certaines questions, à se focaliser sur la question du sens, ses exigences, l'avait fait basculer pour son employeur dans le rang des emmerdeurs et qu'à ce titre il n'avait plus rien à en attendre. Sans doute avait-il des progrès à faire dans la manière d'exprimer les choses tant dans le travail que dans son ex vie conjugale...)
Il y eut donc ce soir où, à bout, en larmes et démuni comme un enfant égaré, il enfourcha le Tambour-cheval pour un voyage qui se devait d'être plus qu'un simple voyage : il devait sauver son âme et l'empêcher de sombrer dans les abîmes du doute, de la désespérance et de l'impuissance.
Peu à peu, les voyages devenaient pour le Voyageur comme une vie complémentaire et se peuplaient au fur et à mesure d'êtres qu'il retrouvait régulièrement en fonction des besoins, des questions ou de l'humeur de ceux-ci. Peu à peu aussi un bestiaire se constituait, ainsi qu'une géographie avec des lieux plus fréquemment visités que d'autres.
Il avait appris à trouver dans ces voyages les réponses qu'il ne parvenait pas à trouver seul. Et rien que cela, en soi, était miraculeux.
Ainsi le Voyageur comprit-il lors de ce voyage, que des signaux contraires envoyés par la Vie peuvent être aussi des signes envoyés pour le sauver ; simplement parce que ce n'était pas ce qu'il attendait qui était bon pour lui ; et que cela un jour lui apparaîtra comme tel.
Ainsi se vit-il dire (et sur quel ton véhément !) que jamais plus sa Vie ne connaîtrait une telle béance de possibles : il n'avait plus de femme, plus de logement pérenne, plus de contraintes de lieux... alors qu'il continuait de fonctionner comme si tout cela existaient encore.
Il y a un mur, lui a t-on dit, un mur contre toi, mais parce que tu n'es pas à ta place. Tu ne fais pas ce qu'il y a à faire. Tu fais des choses, mais pas les bonnes. Pauvre idiot ! Tu as besoin de faire racine et de prendre racine en toi-même. Ce qui ne va pas en ce sens est nul et non avenu. Avec zazen, avec le Tarot chamanique, tu fais souche. Tu dois avoir tes propres racines, pas celles des autres. Le temps est venu pour toi de travailler pour toi. Il faut que tu vois clair en ce que tu veux vraiment. Jamais plus ta vie ne sera ouverte à ce point-là. Alors que tout est possible, tu continues de penser « petit », laborieux. Ouvre ! Agrandis ta vision ! Ce n'est pas la Vie qui est contre toi, c'est toi qui est contre la Vie. Apprends à faire les bons choix...
Et puis, au cour de ses trois derniers voyages, était apparu Etty (oui, Etty Hillesum ; celle dont le journal avait fait basculer sa vie, il y a environ huit ans et dont il avait tant parlé dans ses blogs),
Elle lui était apparue, telle qu'en elle-même, son visage si beau, encore un peu poupin et qui ne serait jamais affiné par la maturité de l'âge, sa jupe de laine épaisse, son pull en laine rêche et son cœur aussi doux que de la soie. Et ce qu'elle lui avait dit, mon dieu, ce qu'elle lui avait dit...
- Je te parle d'au-delà des mondes. Dieu -je l'appelle comme ça- est en toi... Tu as ouvert la porte sur l'immensité du sacré, ton cœur et ton âme sont comme des coupes enfin prêtes à le recevoir. Ouvre ton cœur ; notre cœur est le Graal et le Graal est l'amour. L'amour de Dieu, de Bouddha, de la Vie...
Ce qui est en cause, c'est ta foi. Moi, je ne l'ai pas perdue, même aux pires moments. Prie ! Apprends à prier, laisse-toi tomber au sol s'il le faut. Il faut que tu voies clair en toi-même. N'oublie pas le Fil de la Merveille. Moi Etty, je te le dis, tu mérites d'être aimé. Tu es aimé. La Vie t'aime. Les mauvais choix elle les éloigne de toi, même de manière abrupte, violente, brutale ; mais la Vie est comme ça. La Vie n'est pas là pour avoir de la pitié. La Vie se sert juste elle-même. La Vie sert la Vie. La profusion l'exubérance, la richesse du Faire, les essais, les tentatives, l'énergie... La Vie maintenant te parle le langage de la Vie. Avant, elle se taisait, elle était loin. Maintenant, elle te parle son langage, et son langage c'est : elle aide ce qui fonctionne comme elle. Ce qui est authentiquement et sincèrement profond et juste. Ce qui est fait en toute congruence et légèreté, en toute évidence. La Vie se nourrit de la Vie qu'elle produit. Si tu ne produis pas de Vie, elle se désintéresse ; donc, cherche à produire de la Vie ! Encore et encore et la Vie s'intéressera à toi. Là, en ce moment, tu en produis de la Vie ! En nous écoutant, tu en produis. Et moi Etty, je te le dis : je suis ta sœur, ta sœur d'âme, ta sœur spirituelle et je serai toujours là pour toi, pour toujours et à jamais. Je t'aiderai à faire souche et à prendre racine et je t'accompagnerai toujours et encore...
Et puis, lors de la première visite de Etty dans un des voyages du Voyageur, il y eut cette vision :
Le voyageur était dans une clairière, de nuit. Son corps était translucide et juste délimité par une membrane transparente. Les traits de son visage étaient d'une beauté parfaite, et à l'intérieur de son corps, il n'y avait qu'un cœur d'or, comme en feu ; et aux alentours, dans la clairière d'autres êtres comme lui, se cherchant dans le silence de la nuit. Alors, la Grande déesse de l'amour (on y voyait aussi ce cœur d'or brûlant à l'intérieur d'elle-même) dit :
- Je suis la déesse de l'amour, la déesse des Coupes du Tarot. Je connais tous les secrets de l'amour. Installe-toi dans le champ de l'amour. Laisse ton cœur briller tel une luciole. Dans cette clairière-là, dans cette Clairière des Amours à Venir, installe-toi et appelle. Appelle. Ton cœur brille, ton cœur brûle. Tu as été entendu, quelqu'un va s'approcher.
Arrive alors un vieil homme, l'Hermite, qui ajoute entre autres choses :
- Tu es enfin arrivé dans la Clairière des Amours à Venir, avec ton cœur qui brille dans la nuit. Tu es une « âme-luciole », tu éclaires le monde. Tu recherches d'autres âmes-lucioles ; tes sœurs d'âme et de cœur, et tu les trouves. Et de toutes ces âmes-lucioles, il y a une avec laquelle tu partageras quelque chose d'immense, de grand et de beau. En attendant, ancre-toi en ta foi et n'oublies pas que tu es arbre...
Et puis, Etty est arrivée et a dit :
- Prends mes mains, sens la foi et la confiance que je te donne. Nous sommes deux âmes-lucioles, deux âmes-lucioles...
Etty était là désormais ; elle et tant d'autres. Le Voyageur savait qu'une part de lui était arrivée dans la Clairière des amours à venir. Il savait qu'en tous les mondes, les âmes-lucioles finissent toujours par se trouver. Il savait ce qu'il avait à faire. Il remercia tout le monde, tout ceux qui étaient présents et dont il n'a pas parlé ici, et il sut alors qu'il n'avait plus rien à craindre. Etty était là...

05/09/2014

Danse avec les ombres

© Irène Kung
  
La journée avait été la plus rude depuis longtemps. Un moment de relâchement sans doute, accentué par le fait qu’une séparation implique une multitude de démarches administratives, comme autant de fils à couper, renvoyant parfois le Voyageur à l’insupportable blessure.
Au soir venu, il avait enfourché son Tambour-cheval pour le Monde où vivent Ceux qui aident. Il était monté en haut d’un arbre et une sorte de Fée légère et malicieuse lui avait dit :
« - Bonjour à toi. Je suis l’esprit de cet arbre, je suis l’esprit des branches et des feuilles et c’est pour cela que les oiseaux viennent y nicher. Sens le tronc contre ton dos, les branches contre tes jambes, les racines tout en bas, le ciel tout en haut.
Il faut que tu retrouves tes racines. Tu avais fait racine Celle partie dans le Monde des Amours perdus. Tes racines c’était Elle et le futur que tu pensais avoir avec elle. Cela et ce village de l’Aveyron étaient ton terroir. Un terreau sur lequel tu pensais pousser et te déployer. Tu n’as plus de terreau, tu es pour l’instant « hors sol », et il faut que tu retrouves un terreau, un terroir, un enracinement. Tu es blessé, perdu, déchiré, parce que tu n’as pas encore trouvé un autre endroit, une autre place –géographique, psychique, corporelle, spirituelle, affective- pour planter tes racines. Elle était devenue ta « racine-maître » et de ce fait, tu lui avais donné beaucoup trop de pouvoir.
En quoi peux-tu prendre racine ? Tu peux prendre racine avec ton corps, avec la méditation les exercices corporels ; sentir ton ancrage dans le sol. Ton nouveau terreau c’est le chamanisme : c’est là que tu dois t’ancrer. Le bouddhisme, le chamanisme, le Tarot. On te l’a déjà dit : il faut que tu apprennes à vivre en devenant ton propre terreau. Cela ne veut pas dire se couper du monde, au contraire ! Cela signifie ne plus donner un tel pouvoir à quelqu’un d’autre. Cela veut dire couper tous les fils, et vous en aviez tellement !
Ancre tes pieds dans le sol, partout et tout le temps, quand tu le peux, parce que tu es un arbre : enracinement dans le sol, esprit dans le ciel et les étoiles ; entre les deux, un lien, un tronc immense qui va des racines à l’infini du ciel : ton corps. Il faut que tu sentes ces énergies-là ! Pour un temps, tu n’as plus de passé proche (trop douloureux) et tu n’as plus de futur visible ; tu n’as que le Présent et il faut que tu apprennes à t’y ancrer.
Ce présent n’est ni bon, ni mauvais, ni positif, ni négatif : il est. Si tu captes le présent sans t’y projeter, si tu es dans la Présence, tu souffriras moins. Qu’y a t-il au-delà de ton chagrin, de ta tristesse, de ton déracinement, de ton éviction ? Qu’y a t-il ? Si tu retires cela, le présent est de même nature que ce qu’il était avant et que ce qu’il sera plus tard. Juste la Présence. C’est pour cela que tu te dois de méditer encore en encore. La posture, rien que la posture ! Et le tambour… La fin de cette histoire, aussi douloureuse soit-elle, est le début d’une nouvelle page.
Pour l’instant, tu dois apprendre à devenir ton propre terreau, ton propre terroir. A ne plus jamais remettre ta vie entre les mains de quelqu’un d’autre. Tu peux partager ta vie, mais tu ne dois plus jamais remettre à un autre ce qui t’appartient en propre. Parce que dès lors que cet autre s’éloigne, pour des raisons qui ne peuvent que lui appartenir et qui, somme toute à bien y réfléchir, ont peu à voir avec toi ; et tu te retrouverais à nouveau sans ancre, sans centre, comme l’âme amputée d’une moitié. Il faut que tu apprennes à cultiver ta complétude. Cet énorme part de ton âme qui vient de t’être arrachée, elle n’était pas toi, elle ne t’appartenait pas. Un jour sans doute, rencontreras-tu à nouveau une autre âme avec laquelle faire voyage comme deux étoiles se croisant dans l’infini du ciel. Fais en sorte alors que vos racines s’entremêlent sans que jamais au grand jamais, aucun des deux n’abandonnent les siennes.
Voilà, tu peux rentrer maintenant, tu peux rentrer… »
Alors le voyageur est reparti, a retrouvé d’autres guides et son jardin sacré, puis le Tambour-cheval s’est tu.
Quelques minutes plus tard, le téléphone sonnait et une amie lui offrait les clés qui lui manquaient pour que ces paroles prennent tout leur sens et viennent alors comme une formule magique et sacrée dissiper les ombres pour un moment au moins … Danser avec les ombres… Chevaucher la lumière ; le Voyageur était en train d’apprendre… Quel qu’en soit le poids de souffrance à payer.

31/08/2014

Le pacte

Ainsi donc, la Vie, par un mouvement de boomerang dont elle a le secret, avait renvoyé pour un temps le Voyageur vivre là où il vivait avant son dernier voyage d'Amour ; comme un retour en arrière de quatre années très exactement.
Pendant ces années, il y a eu l'Amour -le plus beau de sa vie-, de la tendresse, des rencontres, une nouvelle vie, des musiques, des spectacles, des livres lus, la connexion -toujours, avec le Dharma, et puis la rencontre avec le monde des Esprits. Il y a eu la rupture, l'extinction d'un amour dans le cœur de celle tant aimée, une nouvelle vie à commencer dans les larmes, l'incompréhension et la désolation.
Alors, cet après midi, le Voyageur est allé dans ce parc à proximité qu'il aimait tant. Il est allé sous ce gigantesque massif de hêtres pourpres, une cathédrale végétale ; son arbre-Maître. Des arbres qui au fil des temps étaient devenus un de ses lieux de paix, qui lui avaient soufflé dans le cœur un spectacle qui deviendrait un livre, qui lui avaient tant appris, et qui avaient été, sans qu'il ne le sache vraiment, une première porte d'entrée vers le monde chamanique des esprits.
Oui, le Voyageur y est allé.
La veille, il avait fait un voyage au cours duquel un de ces guides lui avait murmuré d'une voix infiniment douce :
- Il faut que tu retrouves la Joie dans ton cœur ; ne la laisse pas s'éteindre. La Vie te sourira si tu as la joie en ton cœur. La joie appelle la joie. La Vie est joie... Je vais te demander quelque chose de très difficile, je vais te demander d'arrêter un moment de ressasser, de réfléchir, de rabâcher ; je vais te demander de te projeter dans le futur : qu'est-ce que tu voudrais, là tout de suite ?
Et le Voyageur avait répondu en commençant chaque phrase par : « je veux ». Et son guide lui avait répondu :
- Oui, c'est bien. Tu as dit : « je veux », mais maintenant recommence mais en disant : « je demande ». Et le Voyageur a recommencé en débutant chaque phrase par : « je demande ». Et le guide, entre autre chose, a ajouté :
- N'oublie pas : le langage de la Vie est l'Amour. Si tu veux que la Vie t’exhausse, parle son langage. Et la langue de la Vie est la Joie. Son langage est la foi. Essaie d'être léger. Sois léger ! Tu as des amis : ils t'aiment. Remercie la Vie de cet amour qu'il te donne. Remercie la Vie de cette épreuve que tu dois traverser. La Vie essaie et tente toujours, encore et encore, alors, fais pareil. Ne sois pas limité par tes propres croyances et par tes propres peurs. Nous t'aimons. Ah oui, encore une dernière chose : il faut que tu apprennes à prier. C'est important de prier... »
Le Voyageur est donc entré dans le grand périmètre des hêtres pourpres. Comme il l'avait appris, il y est entré tout doucement, s'est approché d'un arbre, lui a demandé de l'accueillir, a senti son énergie, son acquiescement, a posé ses mains sur son tronc.
Pour un temps alors, il fut, racines, tronc, ciel, étoiles. Tous étaient là, ses guides et ses protecteurs. Et le vent s'est mis à souffler. Le Voyageur est resté là longtemps dans ce voyage immobile. Il a senti l'énergie de l'arbre qui le lavait de l'intérieur. Et puis, il a remercié l'arbre, s'est reculé et a posé son dos contre son écorce ; et alors, une intuition fulgurante, un ordre auquel il ne pouvait désobéir, une évidence, se sont imposés. Il s'est redressé, s'apprêtant à faire un pas en direction du grand cercle formé par les arbres, quand soudain des mots lui sont venus. Des mots, comme soufflés et dictés, qu'il a prononcés à haute voix. C'était un pacte, une promesse, un engagement auxquels il ne saurait plus jamais se dérober quelques soient les difficultés des promesses à tenir. Une promesse au monde. Et ces mots qu'il a alors prononcés, dirent ceci :
« A la seconde où je fais le pas, je décide que ce pas est le premier pas de ma nouvelle vie. Je suis dorénavant prêt à tous les miracles. La Vie a besoin d'être servie, a besoin d'être honorée. La Vie est joie. La Vie a besoin qu'on lui parle Joie si l'on souhaite être entendu. Je suis là, sous ce magnifique massif de hêtres pourpres, mon arbre-Maître, mon lieu de paix et d'inspiration. Je leur ai demandé et ils m'ont répondu : là, aujourd'hui, tu fais le premier pas de ta nouvelle vie.
Aujourd'hui, je suis prêt à accepter tous les miracles. Je fais cette promesse de servir la Joie, de servir la Vie. Le vent a soufflé, le vent m'a nettoyé de l'intérieur, j'ai des racines, j'ai le ciel étoilé à l'infini, sous ce massif d'arbres qui me parlent. J'ai des guides, des esprits autour de moi ; je les sens, des animaux protecteurs : ils sont tous là. Aujourd'hui, je fais le premier pas de ma nouvelle vie. C'est une promesse que je me fais à moi-même, c'est une promesse que je fais au monde : être heureux, servir la Vie, servir la Joie, être dans l'accomplissement le plus sincère et le plus profond, honorer mes guides, honorer les esprits, honorer les arbres, honorer tous ceux qui m'enseignent et me protègent. Aujourd'hui, je fais le premier pas de ma nouvelle vie et c'est un serment. »
Alors seulement, le Voyageur a fait le premier pas et s'est avancé jusqu'au centre du cercle formé par les arbres. Il est resté là, debout et immobile, sentant le vent souffler, agitant les branches et lavant son âme, puis il a fait un grand cercle de pas autour du massif d'arbres, le cœur reconnaissant, en voie de guérison, et gonflé des promesses à venir.
Quelques secondes plus tard, alors qu'il s'éloignait, un mail lui est parvenu : une proposition de location d'une maison. Et quelques minutes plus tard, pour la première fois depuis trois semaines, en garant sa voiture, il réussit son créneau du premier coup... Car il n'y a pas de petites ou de grandes victoires, il n'y a que des victoires.
Quelques secondes d'éternité sur les premiers pas de sa nouvelle vie. Et tout autour de lui, des présences tant aimantes et un cœur qui apprend à guérir...

03/08/2014

A la claire fontaine ou de l'art de boire à la Source

Tous, nous avons vécu de ces moments où la Vie semble chanter, où nous nous sentons entourés de présences aidantes et réconfortantes, où nous nous sentons -en un instant parfois fugace- soudain pleinement présents au monde et à nous-mêmes. Que notre espace intérieur nous semble vaste alors ! Et que la résonance avec le monde nous semble pleinement épanouie !
Que nous songions, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, à ce que nous sommes en train de vivre et la magie de l'instant disparaît comme bulle de savon dans le vent.
Que nous repensions soudain à ce que nous avons à faire, et à nouveau, l'espace se rétrécit, notre cage thoracique se rétracte, notre corps se tasse, notre cœur se referme et notre esprit se tend, à nouveau possédé par cette transe du quotidien qui recouvre d'un voile cette magie fugace qui n'a fait que nous effleurer.
Cette lumière, cette vibration-là, ces présences alentours qui nous entourent, cette espace immense qui semble nous ouvrir du dedans, dorénavant, nous l’appellerons : la Source. Nous l'appellerons ainsi, car ces expériences qui parfois nous traversent sont la source même de notre humanité et le cœur de ce qui vit en ce monde. Certains l'appellent Dieu, d'autres connexion aux Esprits, d'autres la Vie, d'autres la Lumière, l’Éveil, la Conscience pure... peu importe... Chacun y met ses mots et ses explications ; quoiqu'il en soit, le monde est vaste, et, comme l'écrivait avec sagesse Marguerite Yourcenar : « « Il y a plus d’une sagesse, et toutes sont nécessaires au monde ; il n’est pas mauvais qu’elles alternent. »...
Reste qu'il apparaît judicieux que nous nous posions la question de savoir comment ne pas perdre cette connexion avec la Source qui semble parfois si capricieuse et si fragile.
La Source, pour se manifester à toi, a besoin de deux choses pas si différentes l'une de l'autre : ta vigilance, et ta présence.
Pour la vigilance, les chamanes disent que nous avons deux âmes : une qui est celle à laquelle nous nous référons tout le temps, qui est fixe en nous et ne bouge pas ; et une autre qui a la capacité de voyager entre les mondes. C'est cette âme-là qui est la à-même de se connecter à la Source. Alors, quoi que tu fasses, quel que soit l'endroit où tu es, essaie de garder éveillée cette âme-là. Comme une sorte de gardien vigilant qui surveillerait l'horizon pendant que les troupes s'activent à leurs occupations : travailler, conduire, décider, réfléchir, se disputer, avoir faim, avoir envie de faire l'amour, de faire la guerre... Ainsi, sitôt que tu sentiras le champ de ton âme se rétrécir, il te suffiras alors de te brancher sur cette « part vigilante et éveillée » pour retrouver un peu d'espace. Ne jamais se crisper totalement sur ce que l'on est en train de faire... Garder toujours un espace vierge, vacant, disponible...
Pour la Présence, se dire que la Source, pour se manifester, a besoin de la transcendance de ta Présence et de ta verticalité pleine et entière. Qu'est-ce à dire ? Cela veut dire que la Source, bien que présente en permanence, ne peut se manifester à toi qu'à la condition que ton esprit soit pleinement là, ici et maintenant. Qu'il soit tendu, accaparé, crispé (ce qui est malheureusement le cas presque tout le temps) et la Source n'est plus accessible à ta conscience. La Source ne peut être là que dans le Présent. Et pour que le Présent soit là, il faut que ton esprit soit stable ; et pour que ton esprit soit stable, il faut que ton corps et la conscience que tu en as soient stables. D'où la formidable efficience des techniques de méditation. C'est pour cela qu'il est question plus haut de verticalité . c'est en référence à la méditation. La conscience de ton corps, la stabilité de sa posture, l'observation de ton esprit et de ce qui s'y passe, sont autant d'outils qui te permettent de retrouver de ta Présence au monde afin de faire en sorte que la Source se manifeste. Et plus tu es proche de la Source, plus tu es épanoui et libre...
A toi de trouver les exercices qui te conviennent afin de travailler les deux. Et surtout, ne confonds pas la « pleine conscience » avec le fait d'être obnubilé par la tâche que tu es en train d'accomplir. Dans le premier cas, ton esprit vit et respire, dans le deuxième il est possédé par la tâche que tu es en train de faire. La Présence n'est pas accaparement ; elle en est l'inverse.
Maintenir en soi, quoi que nous fassions, une vigilance attentive à la présence de la Source et une conscience pleine et entière de ce que nous sommes en train de vivre sont deux facettes qui semblent faussement contradictoires alors qu'elles se complètent.
Dans quel position était ton corps pendant que tu lisais ce texte ? Vers quelles contrées ton esprit s'est-il mis à vagabonder ? Ta respiration était-elle bloquée ou au contraire ta cage thoracique était-elle ouverte et ample ? Y avait-il en toi un espace libre de réception et d'attention à la Source ?
Je te laisse bien sûr répondre à ces questions et te souhaite tous les enchantements...

26/06/2014

à âmes perdues

"Tree of Jesse" - The Salzsburg Missal
Dans la pratique chamanique, il existe un type d’intervention de soin généralement dénommé « recouvrement d’âme ».
Ce soin (ou plus justement cette « réparation ») part du principe qu’à l’occasion de divers traumatismes (deuil, opération, stress post-traumatique, fausse couche, séparation…) des morceaux d’âme (« âme » au sens de notre essence vitale) quittent la personne souffrante pour aller se protéger dans la réalité « non ordinaire ». Le rôle du chamane intervenant consistant alors à aller rechercher ces morceaux d’âmes perdus pour les réintégrer dans la personne et rétablir son intégrité.
Cette « perte d’âme’ », et le morcellement intérieur qui s’en suit, sont considérés comme représentatifs des troubles majeurs les plus fréquents. En psychiatrie on appelle ce type de symptôme une dissociation, l’optique freudienne disant que cette partie de la psyché inaccessible à la conscience a été repoussée dans l’inconscient individuel (là, je cite un psychiatre).
Les chamanes sont donc de grands réparateurs d’âmes, et peu importe ce que l’on en pense, l’important est que ça marche, et… ça marche !
Le plus troublant, est que les symptômes de cette perte d’âme sont décrits par les chamanes comme essentiellement : « le fait d’être insatisfait, de consommer aveuglément pour chercher un remplir un vide ». Avec des mots plus occidentaux, des symptômes de dépression chronique, de sentiment de faiblesse et de disharmonie, d’insatisfaction chronique, de vulnérabilité physique -entre autre face aux maladies virales- de sentiment de vide existentiel, d’ennui, d’impression de vivre en dehors de son corps physique, de difficulté à se concentrer, de vie émotionnelle émoussée, d’impossibilité de se rappeler ses rêves, d’addictions diverses… (Liste proposée par le chamane Laurent Huguelit in « Le Chamanisme » par Audrey Mouge - éditions de la Martinière). C’est-à-dire, très exactement, les caractéristiques les plus fréquentes de notre époque et de notre civilisation !
Dire que nous vivons dans une société qui a perdu son âme dès lors parait tout à fait justifié… Etant à noter qu’en général, après un recouvrement d’âme, le patient va dans sa vie vouloir faire des choses nouvelles, expérimenter, ne plus supporter certaines choses qu’il faisait avant par ennui ou obligation, vouloir vivre de nouvelles aventures, être plus exigeant quant à la question de son accomplissement, faire preuve d’une énergie qu’il ne se connaissait pas… En un mot, faire preuve d’une vitalité qu’il avait perdue. Normal : son âme, reconstituée en partie ou en totalité, a besoin d’être nourrie et exige que l’on s’occupe d’elle !
Il y a peu, j’aurais écrit tout cela sous forme de métaphore. J’ai appris depuis peu que ce n’était plus nécessaire. Oui, nous vivons une période qui a perdu son âme, et nous en sommes tous atteints. Le paradis perdu, ce sentiment si fréquemment ressenti, étant tout simplement cette nostalgie de l’âme entière, et du sentiment d’intégrité qu’elle procure et de parfaite osmose avec le monde.
Nous avons l’impérieuse nécessité de retrouver en nous la source perdue pour reconstituer notre énergie psychique altérée, épuisée, exsangue, apeurée… Notre âme est malade à force d’être niée, reniée, éclatée, mal nourrie…
Dans les derniers mois de sa vie, Pina Bausch disait ceci : « Longtemps, j'ai pensé que le rôle de l'artiste était de secouer le public. Aujourd'hui, je veux lui offrir sur scène ce que le monde, devenu trop dur, ne lui donne plus : des moments d'amour pur." Et vois-tu, si je te parle de ça, c’est parce que ces derniers jours une compréhension m’est montée avec une évidence détonante : les artistes sont eux aussi des réparateurs d’âmes. L’art a aussi pour fonction de nous aider à retrouver les morceaux d’âme que nous avons perdus, pourquoi autrement devant un spectacle fort ce sentiment de plénitude et de renouvellement ?
En tant que conteur du merveilleux, j’ai toujours dit que les contes parlaient le langage de l’âme, et qu’à ce titre, ils réveillaient en nous des zones endormies en faisant remonter à notre conscience ces bribes vitales que nous avons égarées.
Plus globalement, l’artiste se doit d’apporter ce qui manque à son époque. En période de dictature il apportera évidemment quelque chose de différent et il importe donc que celui-ci ne se trompe pas sur le constat… Il peut aussi apporter ce que l’économie marchande et la doxa politique attendent de lui ; il fera parfois du bien, il fera sans doute sourire, mais plus rarement saura-t-il réparer ce qui, ontologiquement, a été défait. Nous avons besoin de réparateurs d’âmes, pas d’attractionnistes !
Tous les artistes ne sont pas porteurs de cette puissance-là. Trop souvent, ils ne font que projeter sur le monde leurs propres ombres ; et il est certain que parfois cela peut-être utile ; mais je parle dorénavant d’autre chose : je parle de l’âme et de l’esprit et c’est un autre paradigme… Ce qu’il nous revient désormais c’est de faire chanter les âmes avec le monde.
Notre monde a vitalement besoin d’être soigné. Nos âmes en ont besoin, impérativement. Hier à la radio un homme était interrogé sur un rapport qu’il venait de remettre visant à évaluer ce que serait la France dans dix ans. Il est économiste et ne parlait pour ainsi dire que ça. Penser que le devenir d’un pays à 10 ans ne serait qu’une question d’économie et de mode de gouvernance politique, n’est-ce pas là le symptôme d’une folie aveugle ?
Alors oui, j’avoue, je prends le maquis. Notre époque regorge d’experts en tout genre qui l’asphyxient de certitudes objectivantes et rabâchent les mêmes idées sur la croissance et l’économie de marché ; alors que pendant ce temps, les artistes sont mis à mal, ceux qui pensent peu entendues, et ceux qui pourraient vraiment apporter quelque chose de nouveau considérés comme de doux rêveurs un tantinet obscurantistes.
La seule aventure qui vaille est celle de l’âme et de l’esprit. La seule question qui vaille : « qu’as-tu fais dans ta vie de l’âme et du monde qui t’ont été confiés ? ». Le seul bilan qui compte : « as-tu été aimé et as-tu bien aimé ? ». Et en tant qu’artiste après un spectacle : « qu’as-tu fais des âmes qui t’ont offert leurs présences ? ». Pour le reste, ma foi, pour le reste… J’ai passé l’essentiel de ma vie dans ce reste-là ; il ne me parait pas déraisonnable dorénavant d’aller voir plus loin, laissant à d’autres les clés de la maison et m’aventurant vers des rivages tout autres… Le propre des âmes entières étant l’enchantement, j’ai justement commencé à prendre des cours de chant. Et quand la voix chante, le monde chante aussi, n’est-ce pas ?…
J’ai toujours pensé, au risque du manichéisme, que le devenir du monde reposait sur des forces antagonistes et que tout moine en prière, tout acte de compassion, toute émotion belle et sincère, toute relation pleine et entière avec le monde, tout acte visant à nous réunir au monde, contribuaient, même de manière infime, à changer la résonance du monde et à en repousser les remugles nauséabonds et prédateurs… Peut-être qu’entre le renouveau des pratiques méditatives bouddhistes, toutes ces recherches extraordinaires des neurosciences et de la physique quantique, cette prise de conscience sur notre interdépendance au vivant, ce renouveau des pratiques chamaniques adaptées à notre époque et à notre civilisation… peut-être, assistons-nous à un début de recouvrement d’âme à l’échelle planétaire… Va savoir… En tout cas, je trouve cette vision (au sens premier du terme) plus jouissive que ce monsieur qui nous expliquait ce que serait la France dans dix ans en nous parlant uniquement de PIB…

11/06/2014

Le lieu d'où

 
 Angkor...
"Nous sommes tous des caméléons" se disait-il souvent. Nous nous adaptons pour nous faire adopter, pour survivre, pour s'en tirer sans trop de mal...
Nous avons intérieurement à notre disposition une multitude de personnages ressources que nous allons chercher autant que de besoin.
Par exemple en cas d'annulation d'un train que nous devons prendre :
Le rationnel : C'est certes embêtant, mais il faut comprendre que si la rame était défectueuse, il est préférable de ne pas la faire rouler.
Le politique : putain de politique libérale ! Ils n'ont qu'à en mettre du personnel au lieu de mettre à bas les services publics !
Le sage : impermanence, impermanence : voici une leçon que m'offre la vie, je dois apprendre à l'accepter et à profiter de cette occasion pour parfaire mon esprit.
Le salarié culpabilisé : et merde, je vais arriver en retard au boulot, ça la fout mal, déjà hier, je ne me suis pas levé et je leur ai dis que c'était à cause d'un problème de métro.
Le dragueur : tiens, elle est jolie la femme à côté de moi...
Le positiviste : bon, ce n'est qu'une  annulation, heureusement, ce n'est pas un accident !
Le poète : "au dessus du quai de la gare, un nuage s'évapore"
Etc...
Nous adoptons ces personnages d'adaptation sans même nous en rendre en compte, mais finalement, y a t-il un "vrai moi" ? Quel est celui qui réagit et que je suis vraiment ?
Cette question le taraudait -lui qui depuis l'enfance était passé maître dans l'art de se mettre "à la place de" et avait multiplié à l'infini les rôles intérieurs de référence-, tant et si bien, qu'un jour, il s'était dit qu'il était temps de le trouver vraiment ce "vrai moi".
Le chercher l'avait obligé à poser la question de comment le reconnaître s'il venait un jour à le rencontrer. Parce qu'il s'était dit que ce ne serait pas marqué sur son visage : "coucou, je suis ton vrai moi" ! Il avait fini par se dire que ce devait être le personnage par lequel il ne jouait plus, dans lequel il se sentait intrinsèquement sincère et entier, et surtout celui dans lequel il se sentirait non seulement le plus juste, mais aussi le plus accompli, le plus entier; le plus plein.
Un jour, le conteur en lui avait compris que le public l'écoutait de l'endroit d'où il contait, et cela avait été pour lui une grande leçon. Car au fur et à mesure qu'il expérimentait la chose, il se rendait bien compte qu'il contait souvent du même endroit, et que lorsqu'il était "là", le public partait avec lui bien plus profond qu'habituellement. Ce qui au passage lui avait confirmé que ce qu'il recherchait n'était pas tant un personnage qu'un lieu.
Déplacer sa recherche du théâtre à la géographie -fut-elle intérieure- fut pour lui comme se baigner dans un source jaillissante. Et lorsqu'il comprit et expérimenta que ces royaumes intérieurs dont il parlait depuis des années n'étaient pas qu'intérieurs mais existaient vraiment -à leur manière", sa vie prit alors un nouveau tournant.
Dans ces royaumes-là, il se mit donc en quête du lieu. Il chercha longtemps partout ou presque, jusqu'à ce qu'un jour une simple petite grenouille ne lui indique le chemin d'une simple cabane de bois au fond d'une forêt. Il était conteur, et après tout, il était normal que les grenouilles viennent le secourir !
D'extérieur, la cabane ne payait pas de mine, mais que l'y entrât et  l'air lui-même semblait différent, comme si les particules aériennes brillaient de l'intérieur, irradiant une douce lumière de vitrail. Il y avait là un vieil homme, un sage, un maître . Il enseignait à des enfants perdus et abandonnés qu'il avait recueillis dans la forêt. Il y avait en lui du Saint François, mais aussi de ces moines bouddhistes des forêts ou de ces poètes errants du haïku...
Ce jour-là, le voyageur sut alors qu'il était arrivé à la fin de quelque chose et par voie de conséquence au début d'autre chose. Longtemps, le vieil homme lui parla : du sacré, des arbres, de la vie, de la Parole... Et puis il lui dit ceci :
"Ainsi, tu voudrais un conseil n'est-ce pas ? Et bien voilà : toi et moi sommes pareils. Poli ton cœur, poli tes mots. Apprends à parler de cette cabane dans laquelle je suis. C'est de là que tu dois parler ; de cette cabane simple dans un bois. Tu dois parler de cet endroit-là ! Géographiquement, métaphysiquement, poétiquement. C'est là que tu seras juste.
Avant de repartir dans le monde des enjeux sociaux, dans le monde de la vie de tous les jours, avant de te faire des rêves plus grands que toi, n'oublie pas cela : tu doit parler et agir de cette cabane où je t'enseigne aujourd'hui, avec cette simplicité, cette humilité, cette bonté-là. Et avec aussi cette connexion au végétal, à la terre, au ciel, aux étoiles. Ton centre, le cœur de ton royaume, c'est ici. Innombrables sont les hommes qui ne trouvent jamais le leur. Toi, tu l'as trouvé. N'en démérite pas, c'est pour toi un nouveau chemin qui commence. Va maintenant, va... Tu n'auras plus peur, je te le dis".
Le voyageur le salua puis repartit, la grenouille l'attendait. Et sur le chemin du retour, en lui, la conviction absolue d'être dépositaire dorénavant d'un trésor, d'une source à l'énergie inépuisable : la clé et le lieu emblématique de son royaume, là où à chaque passage il renaîtrait à lui-même et au monde. Et puis aussi, cet appel insistant : celui de ne pas faillir à sa mission : parler et agir de là et uniquement de là... Comme une morale exigeante, une vigilance constante, un travail de tous les instants, une obligation de sincérité, un antidote à l’orgueil, un entrainement à la bienveillance, un entrainement à faire taire en lui tant de voix discordantes...

15/05/2014

Hier la voix

Sylvain Meyer : L'aimant d'érable
Hier, la voix d’une grand-mère, tutélaire et très ancienne, m’a dit :
- Ne pose pas ta colère, pose ton projet !
Elle m’a dit que depuis toujours, ma mission était de guérir le monde. Et en effet, très jeune enfant, c’est ce que je faisais en espérant réconcilier mes parents qui se déchiraient. Plus tard, j’ai toujours voulu réconcilier les inconciliables (comme l’artistique et l’administration par exemple !) et toujours exercé des métiers à but d’épanouissement : l’animation avec les enfants (en des temps où l’on pouvait encore faire des choses folles sans passer sous les fourches caudines d’une réglementation démentielle), la musique bien sûr, le conte dont la Parole et un soin holistique, le Tarot, et même mon métier de directeur culturel, puisqu’intrinsèquement, la croyance me guidant était que l’art pouvait changer le monde et réparer en chacun ce qui était cassé.
Oui, je suis donc guérisseur par mission. Et je serai sans doute guérisseur dans mon futur métier. En quoi ? Comment ? Dans quelle discipline ? Je ne le sais pas encore.
Ce qui est certain, c’est qu’une partie de ma souffrance actuelle, vient du fait que nous sommes dans une période où l’art n’est plus ni attendu, ni porté. Nous sommes dans une période oublieuse des choses de l’âme et du cœur, trop occupée qu’elle est à produire toujours plus d’argent et de biens pour les uns ; à tenter de survivre pour les autres. Alors ma mission de « guérisseur » ne pouvant trouver à s’exercer, je perds vertigineusement de mon énergie intérieure. Mais peu importe : il est des milliers de moyens de guérir et de recoudre. A moi de trouver le mien, en sachant qu’il sera dès lors centré sur la personne, individuellement.
Qui nous dicte nos missions ? Non pas celles résultant d’un conditionnement social et familial, mais celles athanors de notre accomplissement le plus haut. Celles qui nous permettent d’accomplir ce qu’il ne paraît pas déraisonnable de dénommer : « notre destinée ». C’est-à-dire, quelque chose qui est de l’ordre du destin, du choix, des empreintes déposées en nous par nos familles, nos origines sociales, notre culture d’origine, de notre identité patiemment construite, et de la matrice la plus mystérieuse qui nous agit, même et surtout, à notre insu. Nous sommes enfants de nos parents, de nos familles, de nous-mêmes, de nos amis, de nos enfants et des étoiles. Nous sommes un croisement entre terre et ciel traversé de toute la tendresse humaine et de toute la violence du monde. Nous sommes un sublime inaccompli qui ne demande qu’à être révélé. Est-il si désespéré que ça de dire qu’une traversée humaine ne pourrait suffire ?
Nos missions les plus hautes nous sont dictées par un mystère tout autant que nous les décidons. Nous sommes un gigantesque iceberg dont nous ne conscientisons qu'un glaçon à peine suffisant pour rafraîchir un verre. Un arbre sans conscience de ses racines. Une vague dont nous ne percevons que l’écume. Et à la pelle de l’âme nous déblayons jusqu’à la lumière. Atomes par atomes s’il le faut. Et parfois, de grands dévoilements sur l’infini qui nous lavent le cœur et nous élargissent l’âme.
Cette nuit, un rêve m’a soufflé le fait qu’il fallait que j’arrête de porter ce qui ne me revient pas. Il y avait aussi une créature imaginaire comme une énorme chenille translucide aux moignons latéraux, telle une chrysalide à la puissance colossale pas encore éclose.
Et ce matin, une prière qui m’est venue :
« Que cette journée ait la légèreté du chant du merle à la levée du jour ».
Les paroles ô combien éclairantes de la vieille femme veillant sur moi de là où elle est, un rêve qui insuffle un souffle nouveau, une prière déposée sur les lèvres au réveil. Cadeau, cadeau, cadeau. Et cette amie qui m’écrit pendant l’écriture de ces mots pour me poser une question dont la réponse est dans ce texte. Cadeau. Et cette énergie retrouvée, cette colère retombée. Cadeau encore. Que veux-tu, la gratitude est une porte d’entrée sur l’infini.
Et pour ne pas s’illusionner non plus, cette phrase de Ram Dass postée ce matin par un ami : « Si tu crois avoir atteint l’illumination, va passer une semaine dans ta famille » !