Le Voyageur était donc
sur la voie du Tambour. C'était pour lui une surprise et un
émerveillement sans cesse renouvelés. De cette voie qui lui avait
déjà appris et montré tant de choses, il se demandait comment
l'incarner, la faire vivre, au fil des jours qui passent. L'idée
d'imaginer que ces deux mondes seraient deux choses distinctes venait
heurter en lui quelque chose de très profond. Il ne pourrait y avoir
ce monde de l'esprit et du Rêve d'un côté, et celui de la vie
quotidienne ; travail, vie sociale, loisirs... de l'autre. Cela
eut été comme une schizophrénie, un dédoublement, quelque chose
de profondément maladif, une fuite en des chimères. Que
signifieraient les paroles les plus belles si elles ne trouvaient pas
à vivre et irradier là où elles sont nécessaires, c'est-à-dire,
là, dans nos vies, de bric et de broc, au milieu de nos remugles, de
nos tentatives maladroites, de nos errements, de nos souffrances, de
nos combats, et aussi de nos joies ? Il semblait au Voyageur
vital de prendre chaque chose par tous les bouts et pas simplement
par ceux qui nous arrangent. Fuir un monde d'incertitudes et de
folies pour un monde éthéré où tout serait beau ? Sans lui.
Il avait un corps, il était en vie ; et en cela il se devait de
vivre cette expérience dans toutes ses acceptions :
émotionnelles, physiologiques, sexuelles, symboliques, cérébrales,
spirituelles... Il n'était pas un ensemble de parties dissociées
réunies par on ne sait quel hasard, ou quelle nécessité. Et quand
même eut-il très peu de réponses, il savait juste ce qu'il ne
voulait pas. Ce qui est déjà beaucoup.
Aussi, un matin, sur la
voie du Tambour, du fin-fond de l'univers lui sont venues des paroles
d'un homme à la voix vibrante et posée. Elles disaient à peu près
ceci :
« Depuis si
longtemps, tu as été formé et éduqué pour croire que l'entité
incarnée que tu es est la stricte résultante d'un ensemble de
facteurs génétiques, familiaux, sociaux, culturels... Tout juste
aménageables par un libre-arbitre et une capacité à faire tes
propres choix qui semblent pour beaucoup le propre de l'espèce
humaine. Oh certes tu as appris, et vous le savez depuis peu, que tout
l'univers est régi par les mêmes lois et les mêmes règles. Que
tout ce qui existe est composé des mêmes briques élémentaires ;
et par cette connaissance qui vient résonner avec une multitude
d'intuitions spirituelles, tu as commencé à penser l'unité. Une
nouvelle branche de la physique vient requestionner tout cela.
Remettant en cause toutes tes géométries euclidiennes, tes
représentations physiques... Dans cet univers, rien n'est localisé,
une chose peut-être onde ou particule selon qu'on l'observe ou pas,
le temps n'existe pas. Ça te trouble ça non ?
Dans ce monde qui est le
tien, tu penses avoir une âme et surtout tu sais avoir une
conscience. Tu sais que tu vis et il y a donc en toi un
observateur. Tu as conscience de toi et du monde. Et de cette
conscience tu observes l'univers et le monde.
Ce que tu as besoin
d'apprendre, c'est qu'une part de ton âme et de ta conscience n'est
pas produite par toi, mais qu'elle préexiste à toi. Autrement
comment expliquerais-tu les millions de témoignages de personnes
revenues d'état de mort clinique et pour lesquelles de toute
évidence, la conscience avait survécu à leur mort physique ?
Il faut que tu apprennes que la conscience est partout. Que
l'univers EST conscience et que tout ce qui existe en est dépositaire
d'une parcelle. L'univers te rêve tout autant que tu le rêves !
Ton âme, elle-même, est une parcelle de cette conscience. Apprends
donc à la nourrir, à l'écouter, à la respecter. Penses-tu que tu
ne viens au monde que pour expérimenter certains plaisirs et
déplaisirs pour ensuite disparaître à jamais ? Ton corps,
oui, est éphémère (et pas les atomes qui le constituent !) mais
ton âme résonne et vibre bien au-delà de toi ! L'univers est
une conscience dans laquelle l'information est partout comme un
gigantesque filet invisible. Toute information circule en toutes les
directions et dans tous les niveaux de réalité. Non, ne te braque
pas : beaucoup de chercheurs en ton monde en ont maintenant, soit
la certitude, soit l'intuition attendant la preuve. Et cette preuve
viendra. Irréfutable.
Mais revenons à toi.
Oui, tu es bien plus vaste que ce que tu n'imaginais. En fait, tu es
aussi vaste que l'univers d'une certaine façon. Tu es plus que ta
propre histoire. Car que tu te connectes à ce maillage
d'informations et alors tu peux avoir accès à toute l'expérience
possible et imaginable. Oui, je sais, il est facile de s'y perdre !
Facile de prendre des vessies pour des lanternes, de simples
projections pour des vérités transcendantales ! De confondre
lumières et démons intérieurs.
L'âme est ce qui vit en
toi et résonne. Beaucoup de tes contemporains, et toi aussi,
êtes malades de cette absence ou de cette insuffisance de reliance et de connexion avec
l'univers et le vivant. Parce que cette absence éteint votre âme,
cette étincelle de conscience en vous. Vous vous pensez tellement
seuls et isolés alors que vous êtes entourés de présences
attentionnées à n'en pas pouvoir toutes les rencontrer en une vie !
Tu te demandes comment
articuler ce que tu vis « avec nous » et ta vie de tous
les jours. En fait, si tu te situes là où vibre ton âme, il n'y a
aucune frontière entre les mondes. Là où tu fais chanter ton âme,
là sont la vie et la conscience. Fuis ce qui l'éteint et cherche ce
qui la nourrit. Cela n'est pas dans les limbes, non. Cela se passe là
où l'âme peut expérimenter et faire ce pour quoi elle est faite.
Chaque âme est porteuse de sa « médecine » (ici
au sens de : propriétés et talents autant visibles
qu'invisibles de chaque chose, qui contribuent à la guérison, dans
le sens de prendre soin, d'éveiller, de réunifier... Chaque
personne a sa propre médecine qui peut tout aussi bien être l'art,
l'expression de la beauté...(1)
Ta médecine, tu
la connais : tu es Celui qui Parle. Ce sont les mots. Tu sais
soigner le monde par les mots. C'est pour cela que nous communiquons
avec toi par eux. Tout ce que tu fais, l'écriture, les contes, le
Tarot, les rencontres d'âme, les soins sur la voie du Tambour, et
même ton travail de directeur culturel, procèdent de cette
médecine-là. Dans ton identité profonde, tu n'es pas
« chamane », « conteur », « tarologue »
ou que sais-je encore... Toutes ces catégories que vous aimez
utiliser. Non. Tu es Celui qui Parle. C'est là ta médecine ;
le pouvoir qui t'a été donné
et que tu as su cultiver. Et par le pouvoir des mots tu
participes de cette conscience dont je te parlais. Laisse faire ton
âme. Elle sait. Tu es un de ceux qui ont pour mission de mettre des
mots sur la voie du Tambour. Cela est précieux et ne peut se faire
qu'à la condition de l'humilité. Que tu tombes dans le piège de
l'ego et alors tu n'es dès lors plus porteur que de toi-même et
cela ne résonnera pas.
Tout le monde peut se
relier à cette grande toile universelle. Il n'y a là-dedans rien
d'ésotérique. C'est une capacité de l'esprit humain, ou plutôt de
la conscience dont tous êtes le dépositaire. Il faut travailler à
ce que le plus grand nombre possible de personnes puisse l'expérimenter tout en étant très exigeants sur la manière de le
faire.
Cette voie du Tambour
avait disparu de ta civilisation. Heureusement, d'autres cultures
avaient pu -contre vent et marée- la préserver. Vous devez
apprendre d'eux avec le plus infini respect, mais il vous revient de
créer une voie qui résonnera avec ta propre culture et les mythes
qui la structurent. Les pièges sont nombreux. Et certains ne
manquent pas déjà d'en faire un divertissement rémunérateur. La
Vie crée, détruit, refait, réinvente sans cesse et sans relâche.
C'est le principe de la vie même que de créer et de se réinventer.
La voie du Tambour est là pour soigner vos âmes, pas pour les
réduire à une imitation. Vous devez donc être forts et d'une
humilité absolue, malins, à l’affût, et surtout vous devez être
à l'écoute de cette conscience intelligente et bienveillante qui
n'attend qu'une chose ; c'est que vous la sollicitiez avec une
intention non altérée par vos propres démons intérieurs.
Votre cerveau est comme
un extraordinaire récepteur-émetteur de télévision. Ce sur quoi
il n'est pas branché, synchronisé, n'existe pas alors que pourtant
tous ces programmes non lus existent. Par la voie du Tambour, votre
cerveau se connecte sur le programme de la conscience universelle.
Tu rêves ton âme tout
autant qu'elle ne te rêve. Et tu rêves l'univers tout autant qu'il ne te
rêve. Alors rêve-toi et marche (2), pourrais-tu dire...
A bientôt »
Le Voyageur resta
silencieux un bon moment. Plus tard il transcrirait ce qu'il venait
d'entendre essayant de donner une forme recevable en son monde. Mais
le Voyageur sentait qu'en lui avait été déposé un gemme. Comme un
gemme de lumière et de conscience qui maintenant avait à trouver sa
place là, ici et maintenant dans ce monde des Hommes sublime tout
autant que désespérant...
(1) : Une partie des thématiques de ce texte m'a été soufflée suite à une lecture d'un
livre qui vient de sortir qui s'intitule « L'approche
chamanique de la thérapie » de Liliane van der Velde et
Olivier Chambon aux éditions Vega. Un livre que je recommande très
fortement à ceux qui s'intéressent à ces choses)
(2) : Expression
entendue ce jour de la bouche de l'ami conteur Patrick Fischmann.
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