Ainsi,
parfois, devons-nous beaucoup à des personnes que nous ne
connaissons pas et qui parfois vivent à l’autre bout de la terre.
Ainsi en est-il de Michael Harner. Je ne le connaissais pas ;
j’ai juste lu ses livres (1), et leur lecture a
eu pour conséquences quelques expériences qui font partie des plus
belles de ma vie.
J’écris
« je ne le connaissais pas », plutôt que « je ne
le connais pas », parce que Michael Harner vient de mourir. Si
tu veux plus de précisions sur sa vie et son œuvre, tu peux saisir
son nom sur un moteur de recherche, les réponses y sont nombreuses.
Je ne le connaissais pas et pourtant je suis ému. Il fut l’un de
ceux qui ramenèrent les pratiques chamaniques en occident, comme
Deshimaru amena le zen en Europe, ou comme Henri Gougaud contribua à
faire revivre les contes en France à une période où presque plus
personne ne s’y intéressait. Il fut de cet espèce de passeurs qui
ouvrent des portes béantes sur de nouveaux possibles.
Dans
le monde, des milliers de personnes ont donc fait l’expérience de
ce que l’on appelle « le voyage chamanique » grâce à
lui et à ses élèves (dont Sandra Ingermann et Laurent Huguelit, mais aussi d'autres qui sans être affiliés directement à lui et à sa fondation ont développé un travail dont il est à la source). Il fut celui qui, après avoir étudié en
tant qu’anthropologue les pratiques chamaniques du monde entier (et
avoir été lui même initié en Amazonie, ce qui dans les années
60, pour un anthropologue, était une transgression qui vous
excommuniait à vie ! ), élabora ce qu’il appela le « Core
Shamanism » (ou "chamanisme fondamental") ; c’est-à-dire
un corpus de pratiques chamaniques a priori communes à l’humanité,
à savoir (et pour faire court et simple) : l’entrée en état
de conscience modifiée grâce au son d’un tambour ; de là
l’expérience du voyage chamanique ; la structuration de cet univers
chamanique en trois mondes : le monde du bas, le monde du milieu
et celui du haut ; un ensemble de pratiques de soins dont les plus
connues sont « l’extraction chamanique » et le
« recouvrement d’âmes".
Grâce à ce travail, des milliers d’occidentaux, mais aussi d'asiatiques et d'américains du sud) ont pu expérimenter à
nouveau ce que leurs cultures avaient perdu (et parfois même
consciencieusement détruit) : une expérience métaphysique
profonde, une relation au monde pleinement vivante, l’expérience
d’une transcendance spirituelle sans le recours à des
intermédiaires ; un chemin d’expérimentation directe !
Oh
bien sûr, les conséquences de ce travail (et l’écho qu’il a
eu) n’ont pas eu que des retours heureux, et certaines pratiques
induites parfois iconoclastes et complètement déconnectées de tout
cadre ne vont pas sans poser questions et parfois même rejets de
la part de tenants de pratiques plus traditionnelles mais pas que.
Pour ma part je trouve pertinent le parallèle entre le développement
du bouddhisme en occident (qui commença massivement à la fin des
années 50) et celui du chamanisme. Au début, on déplace des formes
et enseignements tels qu’ils sont (ou étaient) pratiqués dans
leurs cultures d’origine, puis, on les adapte aux substrats
culturels et psychiques dans lesquels ils se développent,
remettant parfois en cause, non pas le fond des pratiques mais leurs
formes, avec tous les risques et découvertes magnifiques (c’est en
général proportionnel ! ) que cela implique !
Un
des postulats visionnaires de Michael Harner (corroboré par des
données statistiques sur des milliers de personnes) est que cette
entrée en « état de conscience modifiée » grâce au
son d’un tambour n’est pas l’apanage d’un petit nombre
d’initiés mais est une capacité de l’immense majorité d’entre
nous. Attention, il n’a jamais dit que nous étions tous
« chamanes » (et ce mot est tellement empreint de
pratiques différentes et de sens différents qu’il faudrait
vraiment en trouver un autre). « Chamane » au sens de
guérisseur, par exemple, n’est pas le statut de tout le monde.
Mais la possibilité de pratiquer cet état modifié de conscience
pour entrer dans une intimité psychique et sensorielle différente
avec l’univers et soi-même ; oui.
Quatre
ans que j’ai découvert ces pratiques et elles ont profondément
changé ma vie. Et en ce jour où j’apprends que Michael Harner est
parti pour un nouveau voyage dans l’autre monde, j’ai ressenti le
besoin de le remercier. Il a ouvert une porte. J’y suis entré.
Derrière c’est tellement beau…
(1) :
« La voie du chamane » et « Caverne et cosmos »
- Mama éditions.