dimanche 4 février 2018

Hommage à Michael Harner



Ainsi, parfois, devons-nous beaucoup à des personnes que nous ne connaissons pas et qui parfois vivent à l’autre bout de la terre. Ainsi en est-il de Michael Harner. Je ne le connaissais pas ; j’ai juste lu ses livres (1), et leur lecture a eu pour conséquences quelques expériences qui font partie des plus belles de ma vie.

J’écris « je ne le connaissais pas », plutôt que « je ne le connais pas », parce que Michael Harner vient de mourir. Si tu veux plus de précisions sur sa vie et son œuvre, tu peux saisir son nom sur un moteur de recherche, les réponses y sont nombreuses. Je ne le connaissais pas et pourtant je suis ému. Il fut l’un de ceux qui ramenèrent les pratiques chamaniques en occident, comme Deshimaru amena le zen en Europe, ou comme Henri Gougaud contribua à faire revivre les contes en France à une période où presque plus personne ne s’y intéressait. Il fut de cet espèce de passeurs qui ouvrent des portes béantes sur de nouveaux possibles.

Dans le monde, des milliers de personnes ont donc fait l’expérience de ce que l’on appelle « le voyage chamanique » grâce à lui et à ses élèves (dont Sandra Ingermann et Laurent Huguelit, mais aussi d'autres qui sans être affiliés directement à lui et à sa fondation ont développé un travail dont il est à la source). Il fut celui qui, après avoir étudié en tant qu’anthropologue les pratiques chamaniques du monde entier (et avoir été lui même initié en Amazonie, ce qui dans les années 60, pour un anthropologue, était une transgression qui vous excommuniait à vie ! ), élabora ce qu’il appela le « Core Shamanism » (ou "chamanisme fondamental") ; c’est-à-dire un corpus de pratiques chamaniques a priori communes à l’humanité, à savoir (et pour faire court et simple) : l’entrée en état de conscience modifiée grâce au son d’un tambour ; de là l’expérience du voyage chamanique ; la structuration de cet univers chamanique en trois mondes : le monde du bas, le monde du milieu et celui du haut ; un ensemble de pratiques de soins dont les plus connues sont « l’extraction chamanique » et le « recouvrement d’âmes".

Grâce  à ce travail, des milliers d’occidentaux, mais aussi d'asiatiques et d'américains du sud) ont pu expérimenter à nouveau ce que leurs cultures avaient perdu (et parfois même consciencieusement détruit) : une expérience métaphysique profonde, une relation au monde pleinement vivante, l’expérience d’une transcendance spirituelle sans le recours à des intermédiaires ; un chemin d’expérimentation directe !

Oh bien sûr, les conséquences de ce travail (et l’écho qu’il a eu) n’ont pas eu que des retours heureux, et certaines pratiques induites parfois iconoclastes et complètement déconnectées de tout cadre ne vont pas sans poser questions et parfois même rejets de la part de tenants de pratiques plus traditionnelles mais pas que. Pour ma part je trouve pertinent le parallèle entre le développement du bouddhisme en occident (qui commença massivement à la fin des années 50) et celui du chamanisme. Au début, on déplace des formes et enseignements tels qu’ils sont (ou étaient) pratiqués dans leurs cultures d’origine, puis, on les adapte aux substrats culturels et psychiques dans lesquels ils se développent, remettant parfois en cause, non pas le fond des pratiques mais leurs formes, avec tous les risques et découvertes magnifiques (c’est en général proportionnel ! ) que cela implique !

Un des postulats visionnaires de Michael Harner (corroboré par des données statistiques sur des milliers de personnes) est que cette entrée en « état de conscience modifiée » grâce au son d’un tambour n’est pas l’apanage d’un petit nombre d’initiés mais est une capacité de l’immense majorité d’entre nous. Attention, il n’a jamais dit que nous étions tous « chamanes » (et ce mot est tellement empreint de pratiques différentes et de sens différents qu’il faudrait vraiment en trouver un autre). « Chamane » au sens de guérisseur, par exemple, n’est pas le statut de tout le monde. Mais la possibilité de pratiquer cet état modifié de conscience pour entrer dans une intimité psychique et sensorielle différente avec l’univers et soi-même ; oui.

Quatre ans que j’ai découvert ces pratiques et elles ont profondément changé ma vie. Et en ce jour où j’apprends que Michael Harner est parti pour un nouveau voyage dans l’autre monde, j’ai ressenti le besoin de le remercier. Il a ouvert une porte. J’y suis entré. Derrière c’est tellement beau…


(1) : « La voie du chamane » et « Caverne et cosmos » - Mama éditions.